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Diplomatie et Leadership

2001-03-09

Diplomatie et Leadership

Par

Amine Gemayel

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Faculté de Sceaux
Palais du Luxembourg
9 octobre 2001

Votre promotion est privilégiée à plus d’un titre.
D’une part, vous affrontez la vie au seuil de ce nouveau millénaire, une nouvelle ère qui s’annonce différente et qui accuse des transformations substantielles sur le plan des idéologies économiques et des relations entre les nations et les peuples. Ce n’est pas un nouveau millénaire qui est né, mais un nouveau monde, si différent, sans être nécessairement meilleur. C’est votre propre défi de le rendre meilleur. Ce défi consiste pour les jeunes cadres que vous êtes, pour les politiques et les philosophes de mieux le comprendre afin de guérir les maux graves de la société moderne et pour éviter que la notion de mondialisation à outrance ne vienne étouffer les particularités, effacer les différences, et créer un monde monolithique, sans âme, sans liberté et sans humanité.

D’autre part, le monde que vous allez affronter désormais, ne serait-ce que pour quelques années à venir, sera un monde marqué par les stigmates des actions terroristes qui ont ensanglanté le mois dernier New York, Washington, Philadelphie, et peut être Toulouse. Le plus grave, c’est le fossé que les terroristes ont voulu creuser entre les civilisations et les religions : les séquelles des guerres du Nord-Est asiatique, du Golfe ou de la Bosnie ont du mal à se résorber, et les blessures provoquées par les tristes événements de septembre mettront du temps à se cicatriser.
Ce qui inquiète le plus, c’est que cette crise prend l’allure d’une guerre de religion ou de civilisation ; tout au moins, c’est ainsi que certains insistent à la présenter. D’ailleurs, mon professeur à l’université de Harvard, Sam Huntigton, n’avait-il pas prévu, il y a déjà quelques années, cette grave évolution des conflits dans le monde qui ont passé des conflits idéologiques entre communisme et conservatisme à des conflits de civilisations entre l’Est et l’Ouest. Et ce n’est ni par le canon, ni par le terrorisme, encore moins par l’argent qu’on peut régler ce conflit, pacifier le monde ou encore moins éradiquer le terrorisme qui a l’extrémisme ou le fondamentalisme religieux pour justification.
A toutes ces questions, nos gouvernants semblent en panne de réponse.
Aujourd’hui, plus que jamais, le monde a besoin de leaders visionnaires, des leaders qui transcendent l’approche matérialiste et s’accrochent aux valeurs humaines. Des leaders qui nous guident dans cette grande aventure de ce nouveau monde. Nous avons besoin de leaders intègres, qui ont le courage de prôner la vérité, de s’accrocher à leurs principes, et qui refusent de se plier aux diktats des intérêts matériels et du pis aller.
L’économie de marché, quand elle est appliquée en tant qu’idéologie, dépourvue de certains principes, développe cupidité et conflits. En d’autres termes, cette idéologie considérée en tant que telle, ne pourra jamais inspirer les hommes pour réaliser le meilleur d’eux-mêmes, individuellement ou collectivement. Un nouvel ordre à dimension principalement matérialiste, dépourvu de dimension humaine, spirituelle et morale ne mènera nulle part, si ce n’est vers le nihilisme, plus, -peut-être- une accumulation de richesse.
Ce qui nous effraie le plus, c’est le fait que des concepts à connotation exclusivement économique semble dicter les orientations de notre société moderne. Comme si notre sort était téléguidé, étouffé, envahi par des symboles…… tels : GATT, NAFTA, FMI, BM, CE, G7, etc… qui dictent les conditions de l’ordre de l’économie globale… même l’ordre politique ou social, donc, de notre devenir.
Il vous appartiendra à vous-mêmes, à votre génération de réfléchir à tous ces problèmes et essayer d’y trouver les solutions.
Votre réussite sera à la mesure de votre engagement et de votre capacité, en tant que leader à comprendre les besoins de la société, ses aspirations et son échelle de valeur. Il vous faudra convaincre et proposer des solutions, des alternatives… Et finalement, il vous faudra avoir le courage de vos idées et de vous y accrocher, la capacité intellectuelle de convaincre et la détermination d’aller jusqu’au bout dans la réalisation de ces objectifs.
Votre leadership ne s’imposera que s’il est l’expression de la conscience collective du groupe que vous aspirez à servir ou à guider. Alors, se créera un phénomène d’osmose entre vous et la société dont vous avez la charge.
Votre leadership ne se réalisera que s’il est capable de transcender les concepts largement répandus de la globalisation à connotation économique qui génère cupidité et conflit. Pour préserver et développer votre dimension humaine, il vous faudra des rêves, des idées et avant tout, vous accrocher aux principes fondamentaux d’éthique et de morale qui feront la différence dans un monde en quête de références….
Durant la période de guerre froide, le monde libre était obnubilé par un seul objectif : « Détruire l’empire du démon », comme se plaisait Ronald Reagan à appeler l’Union Soviétique. Des énergies exceptionnelles ont été déployées pour cette fin, alors qu’aucune recherche fondamentale n’a été sérieusement entreprise sur les valeurs et les principes qui devraient guider l’ère post-communiste. En conséquence, à la fin de la guerre froide et la chute de l’Union Soviétique, le monde dit libre fut en panne d’idées, d’un grand projet de société. Les dernières tragédies socio-psychologiques qui ont secoué le monde : les tueries entre écoliers dans les établissements scolaires en Europe et aux Etats Unis, l’émergence de nouveaux groupes qui prônent la violence à outrance en politique, les attentats au gaz toxique dans le métro de Tokyo, les derniers événements tragiques de New York, Washington et Philadelphie, l’imminence d’une confrontation mondiale ayant comme toile de fond, tout aussi bien, le manque de repères pour la société, un véritable malaise sociale et l’incompréhension entre les hommes … Tous ces événements sont pour nous autant de signaux d’alarmes, de leçons et de défis ; qui d’autre que vous, l’élite de la nation, ses nouveaux leaders, sont à même de relever ces défis.

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Oui, chers amis, nouveaux lauréats, aujourd’hui plus que jamais le monde a besoin de leaders qui ont une vision claire du nouvel ordre à bâtir ; des leaders capables d’aller à l’essentiel, de défendre la vérité, quels que soient les aléas de la vie et les soi-disant impératifs de la realpolitik.
Certains leaders ont sacrifié leur vie pour réaliser la paix, la réconciliation et la quiétude de leur peuple, et ont initié le processus de changement. Ils ont développé un sens du leadership et des responsabilités basé sur des valeurs universelles.
Il a fallu beaucoup de courage à Sadate et Begin pour mettre fin au conflit historique entre l’Egypte et Israël ;
Il a fallu beaucoup de courage de la part de Mandela et de Clerk pour mettre fin au fléau de l’Apartheid en Afrique du sud ;
Il a fallu beaucoup de courage de la part de Arafat et Rabin pour engager leurs peuples sur la voie du dialogue et de la réconciliation. Rabin a payé ceci de sa vie, mais les plus extrémistes se rendent compte, de plus en plus, qu’ils n’ont d’autre choix que de réintégrer le processus initié par Rabin ;
Il a fallu beaucoup de courage à Gorbatchev pour initier sa perestroïka et le processus de réformes démocratiques dans son pays ;
Mon combat présidentiel ne fut pas non plus facile. Lorsque, face aux objectifs stratégiques et aux ambitions hégémoniques des puissants voisins du Liban, j’ai dû mener un combat inégal et sans merci pour préserver notre entité nationale et la raison d’être de mon pays.

* * *
Chers amis,
Avant de vous disperser dans la jungle de la vie, souvenez-vous toujours que seul l’exercice de votre « leadership », éclairé et courageux , vous permettra de transcender l’épreuve et affronter l’avenir.

Bonne Chance