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Le Liban et la Paix

1979-10-30

LE LIBAN ET LA PAIX

Par

Amine Gemayel

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Harvard 30 Octobre 1979

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Vers la fin de ce XXème siècle la paix de¬vient de plus en plus un objectif, sauf qu'au Liban elle constitue toujours un pari. les uns le considèrent comme un pari perdu d'avan¬ce, les autres le conçoivent comme un pari susceptible d'être gagné. Nous sommes de ceux qui croient que la paix libanaise est non seulement souhaitable pour le Liban, mais nécessaire pour l'humanité entière.
Il ne suffit pas néanmoins de parler de la paix libanaise, il faudrait aussi en définir sa nature, ses fondements et le processus d'ac¬tion pour y parvenir. On pourrait envisager deux types de paix pour le Moyen-Orient. La «Pax Sovietica», tentée depuis 1956, c'est-à¬-dire depuis la guerre de Suez. Et la «Pax Americana», déclenchée en 1973, à la suite de la guerre d'octobre. La Pax Sovietica a échoué; elle n'a pu engendrer que deux guer¬res, celle de 1967 et celle de 1973, ainsi que des séries de troubles dans cette zone du monde. La Pax Americana est en voie de de¬venir une impasse; elle a suscité jusqu'à maintenant plusieurs crises, notamment celle de l'énergie, et au moins une guerre, celle du Liban.
Nous croyons, quant à nous, que la seule paix réelle et réalisable doit être une paix du Moyen-Orient, basée sur l'exemple de la coexistence, la coexistence qui régnait hier au Liban et qui y régnera demain. Cette même coexistence se fonde, non pas sur l'équilibre de la terreur, c'est-à-dire la paix des armes, mais sur l'équilibre des valeurs, c'est-à-dire la paix dans l'entente.
La coexistence est un concept qui pourrait être abordé sous une double vision: une vi¬sion statique et une vision dynamique. Sous l'angle statique la coexistence empêche la guerre mais ne secrète pas les conditions de la paix, et sous l'angle dynamique la coexis¬tence s'inspire des droits de l'homme, les droits de tout homme. La Pax Sovietica et la Pax Americana n'ont réalisé ni la paix basée sur la coexistence statique, ni la paix basée sur la coexistence dynamique. Le péché ori¬ginel, commis par les deux grands depuis plus de trente ans au Moyen-Orient, réside dans leur volonté d'imposer la paix des Etats, «ou surtout la «paix au service des Etats», notamment au service des grands Etats. La vraie paix au Moyen-Orient devrait s'inspirer du modèle libanais de la coexistence dyna¬mique qui consiste à promouvoir «la paix des peuples», et surtout la «paix au service des peuples».
En réalité, l'un des aspects fondamentaux de la guerre du Moyen-Orient réside dans le fait qu'il existe actuellement deux peuples opprimés et en quête de paix: le peuple liba¬nais et le peuple palestinien mais une diffé¬rence fondamentale les sépare. le peuple pa¬lestinien est un peuple en guerre parce qu'il est un peuple sans Etat, mais installé sur le territoire d'un autre Etat, alors que le peuple libanais est en guerre parce qu'il veut préser¬ver son Etat. La solution est de doter les pales¬tiniens d'un Etat mais avant ceci, de garantir aux libanais leur Etat.
Le Liban agonise mais ne mourra pas. Bien plus, notre ambition, notre volonté et surtout notre résistance est de faire -ou de refaire ¬de lui une «terre des hommes» et un exemple de coexistence De la paix du Liban dépend la paix au Moyen-Orient, et de la paix du Moyen-Orient dépend la paix du monde.
Plusieurs explications ont été avancées pour expliquer ce conflit violent et meurtrier Qui au Liban, ravage l'homme, la terre et même Dieu depuis plus de quatre ans, et qui commence de par son ampleur à contaminer d'autres Etats, nous en retiendrons les quel¬ques explications les plus connues.
Certains ont considéré la guerre du Liban comme une guerre de religion. Le concept de «communauté» apparaît fondamental et dé¬cisif. Tout se passe comme si la lutte commu¬nautaire commande la vie -ou la survie - ¬du Liban. Cette lutte communautaire est conçue comme une conséquence directe du système communautaire. De là à déclarer la faillite du système, évidemment, il n'y a qu'un pas à franchir. Souvent la guerre du Liban a été présentée comme la conséquence de l'immobilisme historique des religions, ou comme la fin de l'idéologie de la coexistence.
Une autre explication s'est basée sur le concept de «classe». La guerre du Liban est perçue comme un conflit de classes opposant les opprimés, à majorité musulmane, et plus particulièrement chiite, aux oppresseurs, à majorité chrétienne et notamment maronite. Les tenants de cette explication annoncent la faillite du régime libanais et s'empressent de présager la fin de l'une des rares démocraties du tiers monde.
Une troisième explication s'est basée sur le concept de «nation». La lutte oppose deux nationalismes en mouvement; le nationa¬lisme arabe,à dimension palestinienne, et le nationalisme libanais, d'inspiration chrétien¬ne; c'est un conflit entre l'Etat palestinien en gestation et l'Etat libanais en perdition. Cette vison évoque l'hypothèse, souvent dénoncée par les Palestiniens et les Libanais, de la transformation du Liban en une nouvelle Pa¬lestine, ou en une patrie de rechange pour les Palestiniens.
Mais pour beaucoup aussi, la guerre du Liban est intimement liée aux problèmes spécifiques de la région du Moyen-Orient, et subit les contrecoups de la lutte des Nations dans cette partie du monde. Cette région constitue un modèle de conflit permanent. Ce conflit oppose certes Israël aux pays arabes, mais oppose surtout deux types de sociétés et de civilisations, et aussi d'intérêts régio¬naux et internationaux. Ce conflit, après qua¬tre guerres sans solution, a trouvé au Liban une terre d'élection pour se développer au moindre frais. Ainsi la Syrie, Israël et le peu¬ple palestinien apparaissent comme les grands acteurs, et la guerre du Liban comme le corollaire de la lutte régionale. La solution du problème libanais devient liée à la solution du problème de la région et devient, par conséquent, tributaire du «jeu des grandes nations» ou si vous voulez, de ce qu'on a tendance à appeler le «complot des grandes puissances».
La guerre du Liban est alors considérée sous l'angle du conflit ou de la complicité des grands de ce monde. C'est peut-être là la meilleure explication des causes de la crise libanaise, il ne reste pas moins que les diffé¬rentes interprétations avancées aboutissent à la même conclusion: comme la deuxième guerre mondiale s'est soldée par un Yalta planétaire, la troisième guerre mondiale qui semble avoir déjà commencé à partir du Liban pourrait se solder par un nouveau Yalta Moyen-Oriental, et qu'importe si pour les grands de ce monde, les petits doivent néces¬sairement faire les frais de ces accords.

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La IIIe guerre mondiale a peut-être déjà com¬mencée
Et ce n'est pas parce que les petits doivent payer pour les grands que le Liban devra né¬cessairement disparaître.
Nous libanais, avons prouvé à tous que nous tenions à vivre, à vivre en sécurité et de contribuer à l'installation de la paix dans le monde. Mais cette paix du monde devra commencer par s'installer au Liban, et nous empêcherons la paix de se faire à nos dépens. Il n'y aura pas de paix dans la région, tant que le Liban n'a pas retrouvé la sienne.
La troisième guerre mondiale a peut-être déjà commencé quoique non encore généra¬lisée; elle avait été déclenchée au Liban en 1975 avec, comme plateforme, le problème des minorités. Ce même problème semble avoir fait tache d'huile et le voici en train de faire flamber certains pays du Moyen-Orient et il semble que certains autres ne soient plus tellement à l'abri de ce danger.
La Syrie est à côté de la Turquie flanc orien¬taI de l'Europe. Et les troubles syriens qui commencent à évoluer d'une façon dramati¬que ne sont plus tellement loin de contaminer sérieusement la Turquie, elle-même foyer de minorités diverses, et donc de provoquer un déséquilibre de ce côté de l'occident.
D'autre part, la déstabilisation sérieuse de l'Iran sur les plans politique, militaire et sur¬tout économique a déjà créé un problème sérieux à la sécurité du pétrole dans le golfe, ainsi qu'aux voies de passage, sans parler de ce que cette déstabilisation peut provoquer dans des pays voisins très réceptifs à ce genre de bouleversements tels que le Koweit, ou même l' Arabie Saoudite.
Le ferment de tous ces bouleversements et de ce projet de troisième guerre mondiale est donc le problème des minorités du Moyen¬-Orient:
-Chrétiens, Musulmans et Juifs se parta¬gent cette région du monde.
-La masse des Musulmans elle-même est constituée d'une multitude de sectes dont certaines se sentent parfois beaucoup plus menacées que certaines religions minoritai¬res. «Le Chiisme», par exemple, qui a su avec «Ali», le père de cette secte musulmane, créer un courant islamique extraordinaire, n'a ja¬mais pu s'institutionnaliser, et reste toujours la cible de certaines autres sectes musulma¬nes notamment la «secte sunnite».
C'est donc une solution à ces contradic¬tions que nous sommes tenus de trouver. La simplification du problème ne bloque pas du tout l'engrenage de la guerre dans laquelle nous nous sommes déjà engagés.
-Oublier qu'il y a des minorités au Moyen¬
-Orient qui aspirent à la paix et à la sécurité. -Oublier que le Moyen-Orient, avant d'être pétrole, est culture, civilisation, et dynamique politique
-Oublier que la force morale peut détruire ¬comme c'était le cas en Iran
-La plus grande force militaire.
-Oublier tout ceci, c'est perdre de vue les composantes essentielles des problèmes, et se lancer dans des solutions impossibles, voire impensables
Les stratèges qui manipulent à l'ombre le sort des hommes devraient se pencher tout d'abord sur ces vérités. et s'ils tiennent à se prémunir contre les retombées de ces crises qui commencent à prendre l'allure d'une véri¬table guerre, ils devraient commencer à étu¬dier les moyens pour sécuriser les petits avant les grands, car si les petits ne peuvent pas faire tous seuls la paix ils peuvent tout au moins faire les troubles fêtes. Comme le dia¬logue Nord-Sud, sur le plan économique ne peut aboutir sans le développement accéléré du Sud par la volonté délibérée du Nord, le dialogue entre grands et petits, sur le plan politique, demeurera un monologue ou deux monologues, si les grands n'assurent pas le minimum vital des droits légitimes des petits.

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La «Paix des Etats» passe par les « Paix des Hommes »
La paix du monde ne se mesure donc pas à la dimension du pays, ou au nombre de ses habitants, mais aux valeurs, spirituelles qu'elle prône et aux valeurs morales qu'elle essaye de promouvoir
Au Moyen-Orient, il n'y aura jamais «la paix des Etats», si cette paix ne devait pas passer par la «paix des hommes». Le renflouement de la déclaration des droits de l'homme, de plus en plus bafouée, dans cette partie du monde, pourrait servir de point de départ pour l'établissement d'une paix véritable.
Pour ceci, il ya à prendre en considération deux peuples qui actuellement provoquent l'hémorragie permanente qui perturbe ce processus de paix au Moyen-Orient, et donc qui menacent la paix du monde.
-Le peuple libanais
-Le peuple palestinien
L'homme juif a maintenant sa paix.
L'homme arabe en général, et égyptien en particulier, a maintenant sa paix, dans le cadre de Camp David ou dans le cadre d'au¬tres accords internationaux provisoires ou définitifs.
Seuls, le Libanais et le Palestinien n'ont pas eu encore leur paix, on a même cherché la paix des autres au dépens de la leur, et tant que le problème libanais et le problème pa¬lestinien n'ont pas été résolus, la question israélienne et la question arabe resteront tou¬jours posées et virtuellement explosives. Toute solution déjà envisagée en dehors de ce cadre serait artificielle, superficielle et aléatoire. Car un Liban-foyer de la révolution palestinienne- et déstabilisé, pourrait pro¬voquer la déstabilisation de beaucoup d'au¬tres sociétés en apparence prémunie.
Déjà la crise libanaise a contaminé l'Iran et la Turquie, deux piliers de I'OTAN, et la Syrie est déjà sur sa lancée; d'ailleurs le monde des télématiques et des transports supersoni¬ques ne tardera pas à transmettre le mal liba¬nais aux pays qui se considèrent les plus in¬vulnérables.
En revalorisant la formule libanaise axée sur la coexistence communautaire, c'est-à¬-dire coexistence entre les «Dieu», nous au¬rons déclenché un processus de paix beau¬coup plus viable et solide, c'est «la paix des hommes».

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Le Liban et Camp David
Dans quelle mesure les accords de Camp David ont-ils réalisé ce voeu très cher à t'hu¬manité entière?
Ils ont sûrement débloqué le processus de la paix dans la région du Moyen-Orient. Pour la première fois, un dialogue direct a été éta¬bli entre Israël et les Arabes. Ces deniers qui se présentaient jusqu'alors comme ceux qui refusent la paix avec Israël, ont démontré qu'ils étaient tout aussi désireux d'aboutir à la paix. Sadate a su montrer à la société occiden¬tale et surtout américaine, un nouveau visage de t'arabe, et créer à l'intérieur D'Israël même un courant pour «la paix tout de suite.»
On peut dire que les accords de Camp David ont créé une paix psychologique, mais cependant n'ont pas encore créé la paix poli¬tique, la paix tout court.
La véritable paix au Moyen-Orient ne pourra pas exister en dehors de la «paix des hommes», c'est-à-dire des peuples, et plus précisément de ceux qui payent chaque jour, et très cher le prix d'une certaine complai¬sance entre les plus grands.
Le Liban qui est devenu la terre d'élection, sinon de remplacement pour le peuple pales¬tinien, pour sa guerilla, ses camps, ses abus, son désordre, ses vexations et son terro¬risme... N'a eu droit, qu'à une évocation ra¬pide entre deux réunions, ou dans un court trajet en hélicoptère, entre les trois princi¬paux acteurs des accords de Camp David.
Les accords de Camp David, n'ont rien pro¬posé au Liban, celui-ci a peut-être existé dans l'imagination, ou dans les dossiers de certai¬nes parties et dans le cadre de leurs plans respectifs, et dans une optique très égocen¬trique, voire égoïste.
Mais le Liban n'a pas figuré dans les accords de Camp David comme une question sui generis, comme une composante fonda¬mentale de la paix des peuples, et de la paix des nations. Les accords de Camp David ont oublié que le Liban était, tout d'abord, une « FONCTION » qui restera essentielle dans la recherche de la paix juste et durable, souhai¬tée par l'humanité entière; ils sont en train de considérer le Liban sous l'angle exclusif de certains intérêts, ou sous l'angle d'un pro¬blème secondaire, voire marginal. Ce qui nuit fatalement à la «fonction» du Liban, à son rôle, à sa vocation propre, génératrice de la paix véritable entre les peuples et les civilisa¬tions, à son identité, à sa spécificité, et donc à la paix globale et juste.
Le climat explosif du Moyen-Orient invite les Libanais à plus de résistance, à plus d'hé¬roïsme, à plus d'abnégation, afin de protéger et sauvegarder sa "fonction» dans la région, ou tout au moins, sa présence même.

La déclaration des Droits de l'Homme bafouée au Liban
Les accords de camp David ont donc ap¬porté la paix entre certains Etats, mais pas encore la paix pour tous les Etats, et pour tous les peuples de la région. La seule paix valable et viable qui reste à promouvoir, c'est:
-La paix des hommes
-La paix des peuples
-La paix au Moyen-Orient
C'est cette paix que les Libanais attendent et à laquelle ils aspirent.
Les accords de Camp David risquent de demeurer aussi un paradoxe dans la mesure où ils semblent ne pas tenir compte totale¬ment des principes fondamentaux de la dé¬claration des droits de l'homme. L'un de ces principes est le respect de l'identité, de la spécificité, de l'authenticité, de tout homme aspirant à vivre en paix dans son pays. Or, les accordés de Camp David «ne se sont pas en¬core penché, à notre connaissance, sur cette ambition naturelle et légitime de l'homme li¬banais qui se débat toujours avec son destin sans le moindre espoir d'une délivrance pro¬chaine, tant que tout le problème du Moyen-Orient qui est celui en fait du conflit israélo-arabe, donc israélo-palestinien, reste coincé, concentré et même bloqué, au Liban, et tout le monde, y compris les américains, les israéliens, les soviétiques ou les syriens s'y complaisent allègrement
Or, les principes fondamentaux édictés dans la déclaration des droits de l'homme, restent chez nous de vagues mots, bafoués par les uns et par les autres, sans que nul n'en soit spécialement affecté.
Après un an de Camp David, le Liban est toujours en guerre, d'autres pays de la région, loin de pouvoir participer au processus de paix, connaissent les tensions les plus dramatiques, d'où la nécessité de tirer au plus vite les accords de Camp David de l'impasse.
Après un an environ de la conclusion de la paix entre Israël et l'Egypte, le Sud du Liban est toujours en guerre, les villes libanaises sont la cible chaque jour de bombardements aveugles, et meurtriers, et des citoyens par dizaines se sacrifient quotidiennement sur l'autel d'on ne sait quelle cause absurde et vaine.
D'où la nécessité d'empêcher cette nou¬velle guerre de s'étendre à d'autres pays, et donc de sauver la paix sur laquelle tant d'hommes ont fondé tellement d'espoirs, et que Camp David devienne vraiment générateur de la paix que tous les hommes attendent.

La Pax Libanica
Nonobstant les interdépendances entre le problème libanais et le problème du Moyen-Orient, nous croyons qu'il nous in¬combe à nous libanais, de concevoir et d'énoncer les fondements d'une paix libanai¬se.
Je voudrais citer ici dix fondements qui peuvent constituer une nouvelle charte na¬tionale:
1er principe: La coexistence intercommu¬nautaire est et restera un impératif pour la survie du Liban mais il s'agit de passer de l'étape de la cohabitation réservée entre les communautés, à l'existence harmonieuse de ces communautés dans un même creuset na¬tional. Au lieu d'avoir des communautés qui cohabitent au Liban, il faudrait arriver à une véritable "nation libanaise».
2ème principe: La nation libanaise doit être souveraine. Il n'y a pas de souveraineté nationale mitigée; elle est entière, ou elle n'est pas. Il faudrait que les diverses composantes de la nation acceptent le principe de la non allégeance à toute autre souveraineté étrangè¬re. Il s'agit d'abolir la double ou la triple allé¬geance.
3ème principe: La souveraineté doit être basée sur la liberté; une liberté responsable et respectueuse des droits de l'autre. Et une liberté prise dans son concept économico¬-social, c'est-à-dire le libéralisme organisé et planifié, et placé dans son concept politique, c'est-à-dire la liberté démocratique.
4ème principe: La démocratie, système dif¬ficile à maintenir dans les pays du tiers mon¬de, reste le seul régi me adapté aux structures libanaises.
Nous ne pouvons concevoir le Liban, ni dans un système à parti unique, c'est-à-dire une dictature, ni dans un système religieux, c'est-à-dire l'autocratie.
5ème principe: Le Liban indépendant et démocratique ne peut être isolé de son envi¬ronnement géographique. Il ne peut être ni un ghetto, ni une île isolée. Il ne peut vivre que dans une symbiose avec son environnement immédiat, tout en s'ouvrant sur toutes les civilisations du monde. Cette ouverture serait conçue sur la base de la complémentarité dy¬namique au niveau des groupes sociaux et ethniques de la région.
Le Liban a une vocation mondiale dont il ne peut se détacher.
6ème principe: Cette vocation se traduit par une «fonction» spécifique. Le Liban n'est pas un espace géographique à richesse pétro¬lière, agricole ou industrielle, il n'est pas non plus un Etat à histoire qui déborde ses frontiè¬res, et qui devient un empire, ou une super¬puissance économique ou militaire. Il est une «fonction» à l'intérieur des communautés, ethnies et peuples du Moyen-Orient. C'est un pays soupape.
7ème principe: Cette «fonction» spécifique du Liban est appelée à devenir comme elle l'était un exemple de dialogue, de paix de tolérance, et de compréhension entre les peuples. Le Liban pourrait être présenté dans cette fin du XXème siècle comme le «cer¬veau» de la région, c'est-à-dire un pays intel-ligentsia, une sorte de Harvard du Moyen¬-Orient. Nous avons toujours proposé que le Liban devienne l'UNESCO du monde.
"N’avait-on pas d'ailleurs proposé la ville de Byblos au Liban comme siège de l'Université mondiale des sciences de l'homme?
C'est cette «fonction» du Liban qui est la condition de sa propre survie, mais aussi qui le rend nécessaire à la survie de tout son environnement.

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Dans une grande guerre, il faut toujours des petits boucs émissaires. Pour les grandes puissances, le Liban est un bouc émissaire bon marché. Mon pays est en voie de devenir un jouet, un petit jouet de trois grandes crises:
-La crise de l'énergie
-La crise de la détente entre l'Est et l'Ouest -La crise du Moyen-Orient.
En effet, pour préserver les régions pétro¬lières, le Liban offre le meilleur terrain d'ex¬périmentation et de luttes idéologiques. La lutte inter-arabe se passe a u Liban au lieu de se dérouler dans le Golfe. D'ailleurs, les ob¬servateurs n'ont pas manqué de signaler que la guerre du Liban n'est ni une guerre libanai¬se, ni une guerre pour ou sur le Liban, mais une «guerre de rechange» (spare-war) : au lieu de voir les régions pétrolières en ébulli¬tion, il vaut mieux garder la crise libanaise au frigidaire. Voilà les raisonnements des politi¬ciens et des stratèges.
D'autre part, la guerre du Liban, a démontré les limites de l'entente internationale, bien plus elle a montré la fragilité de cette entente. Ni l'Union Soviétique, ni les Etats Unis n'osent ni ne veulent régler définitivement le problème libanais, et en même temps, ces deux grands sont impuissants à surmonter ou à dépasser cette guerre. Puisque chacune des deux grandes puissances ne peut régler à son avantage ou confier à l'autre le règlement de cette guerre, la crise libanaise se perpétue. Le non-règlement de la crise libanaise est le signe le plus éclatant de l'impuissance de la puissance.
Enfin, la crise du Moyen-Orient est un conflit complexe, multidimensionnel, où s'enchevêtrent les intérêts des grands et les droits des petits. La logique froide et calculatrice des Etats veut sauvegarder le maximum des intérêts des grands et ne garantir que le minimum des intérêts des petits. Or, l'un des petits à sacrifier pourrait être le Liban. Mais les Libanais ont vaincu. Ils ont prouvé qu'ils sont dignes de vivre parce qu'ils sont capa¬bles de mourir pour leur pays. Les Libanais tirent du fond de leur désespoir un espoir renouvelé. Non seulement un espoir mais aussi une espérance. Espérance dune paix fondée sur la coexistence, l'égalité et le pro¬grès. Nul n'est à même autant que mon pays de servir comme un exemple pour la paix du monde. Nul n'est plus digne que mon pays de devenir le véritable laboratoire de la paix du XXlème siècle.
Pascal disait que « Si Dieu n'existait pas, les hommes avaient intérêt à l'inventer». Je me permettrai, très modestement, de dire que si le Liban n'existait pas, les hommes, tous les hommes épris de paix, auraient un intérêt à l'inventer.
Et puisqu'il existe, ils ont tout intérêt à le sauvegarder.