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Union Générale des Etudiants Libanais en France (U.G.E.L.F)

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Echos du Liban
Eté 1979

Conférence du député Amine Gemayel
Hotel Lutecia - Paris été 1979
Union Générale des Etudiants Libanais en France (U.G.E.L.F)

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Le député libanais M. Amine Gemayel, a donné le mois dernier, à l’invitation de l’Union Générale des Etudiants Libanais en France (U.G.E.L.F.) une conférence à l’Hotel Lutecia (à Paris), en présence d’une foule de personnalités politiques et culturelles et de correspondants de presse français, libanais et étrangers. Nous reproduisons ci-dessous de larges extraits de l’intervention de M. Gemayel.

Nous avons prouvé que nous méritons de Vivre…

Beaucoup d’entre vous se sont mépris au sujet du combat que notre jeunesse ne cesse de mener au Liban, et du sang d’un douloureux martyrologue qui, semble t il, n’est pas sur le point de toucher à sa fin, car notre combat pour l’Existence et la survie est perpétuel.
Nous n’avons jamais considéré que les armes puissent constituer le seul instrument pour la construction et la sauvegarde d’une nation, mais par contre, nous n’avons pas hésité pour préserver la vocation ancestrale du Liban, et les fondements de notre société, à nous battre les armes à la main, partout où des forces -le plus souvent ou dans leur plus grand nombre - étrangères cherchaient à étouffer l'expression de notre sentiment national.
C'est ainsi que le Liban saigne toujours. Le Liban saigne de blessures nom¬breuses et profondes. Il n’est pas le nouvel homme malade du Moyen-Orient, il est une nouvelle maladie".

LA COEXISTENCE EN PERIL

"La coexistence communautaire a toujours été l'originalité du système liba¬nais, mais aussi une source d'ennuis, une cause de déstabilisation permanente. Cette coexistence communautaire considérée par beaucoup, ou exploitée par certains, comme étant des contradictions entre communautés, jusqu'à la veille de la guerre libanaise des années 1975 et suivantes.

L'expérience libanaise a démontré que l’entente entre les 1ibanais pouvait être une réalité, pour peu que les conditions régionales aident à ceci. Mais il est une autre condition plus impérative, c'est que les libanais eux mêmes croient et y travaillent. L’entente ne nous tombera jamais du ciel, ce ne sera jamais un cadeau du Père Noël, mais bien un acte de foi consentie.

La coexistence n’est pas un choix, mais un destin, c’est 1e destin du liba¬nais et nous avons décidé de relever le défi, d'accepter notre destin, quel que difficile soit-il, et quelques soient les vicissitudes d'un système que beaucoup de Libanais ont décrié sans avoir encore trouvé la formule de re¬change.

Pour relever ce nouveau défi, nous sommes nous-mêmes disposés à en payer le prix, mais il reste que nos concitoyens en fassent autant et se déclarent définitivement acquis à un même Liban uni, indépendant et souverain, ouvert sur le monde arabe, mais aussi sur le monde tout entier.

Il est absurde à la fin du XXème siècle de distinguer entre un libanais et un autre à base de son rite ou de sa confession. Les principes religieux eux-mêmes refusent cette discrimination.

Le Liban est avant tout une responsabilité civilisatrice. Ou bien nous nous entendons et la civilisation demeurera, ou bien nous nous séparons et il ne restera plus ni cause, ni civilisation, mais une juxtaposition de sectes contradictoires en conflit permanent.

C’est donc une responsabilité universelle que le Liban assume à cette étape décisive de son histoire et de celle de la région. Mais en même temps, la conscience arabe et internationale a aussi une responsabilité à l'égard du li ban afin de l'aider à surmonter un problème qui, quoique évoluant en grande partie sur sa terre, concerne tout autant l'ensemble de la Communauté arabe et internationale: c'est-à-dire le problème palestinien".

LA CAUSE DANS L'IMPASSE

"Beaucoup ont applaudi les accords de Camp David. et se sont réjouis de vol,,' la paix s'installer très prochainement au Moyen-Orient. Ils n'avaient peut-être pas entièrement tort en ce qui concerne certains pays de la région. Mais en attendant, il reste que le problème reste entièrement posé chez nous dans toute son ampleur et sa complexité, de par la présence de quelques cinq cent mille Palestiniens qui résident au Liban, sans aucune possibilité de les voir bientôt s’en aller ailleurs.

En quelque sorte, la résistance palestinienne se trouve actuellement implantée ou même coincée au Liban: peuple et guérilla, camps et armées, responsables militaires et politiques, argent, abus, désordre, vexations, opérations, liquidations, terrorisme, sabotage, etc... Mais rien de tout cela n’a été solutionné par Camp David.

Nous sommes disposés à aider à la recherche d1une solution aux prob1èmes du ¬peuple palestinien, mais ce à quoi nous serons plus encore disposés, ce se ra de nous battre pendant cent ans s'il le faut afin d’empêcher que la solution de ce problème ne soit aux dépens du peuple libanais, de sa sécurité de sa souveraineté et de sa dignité.
La présence chaotique des Palestiniens au Liban constitue un grand phéno¬mène de déséquilibre sur la scène libanaise et, à cause des ingérences chroniques dans nos affaires intérieures, rend la cohésion nationale très difficile.

Il n’y a pas de contradiction majeure entre nous et la vraie résistance qui cherche sincèrement à récupérer sa terre, mais nous refuserons que l'affaire palestinienne devienne -à l'usure -une affaire essentiellement libanaise.

Nous sommes d’accord avec les Palestiniens sincères qui recherchent à récupérer un Etat en Palestine, mais plus les palestiniens s’éloignent de ce but et commencent à se retourner en direction du Liban, plus le Libanais s’éloignera d’eux.

I
C'est à partir de ces convictions que nous avons approché les leaders pales¬tiniens, pour les convaincre de ne pas s’immiscer dans nos affaires libanaises, et de ne pas entraver la bonne entente entre libanais. Car comme certains Palestiniens ont fini par aimer le Liban plus que la Palestine, mais évidemment aux dépens des intérêts légitimes des Libanais et des Palesti¬niens, ils avaient encouragé certains Libanais à aimer la Palestine plus que leur propre Liban.

Nos contacts visaient aussi à les convaincre qu’il leur était préférable de prendre ce que tous les libanais pouvaient leur offrir, même si ceci était un minimum, au lieu de prendre le maximum que leur proposerait une partie des Libanais. Car le maximum accordé par une partie les engloutirait dans de nouvelles luttes et de nouveaux combats, alors que le minimum consenti par tout le Liban pourrait leur servir.

L'une des conséquences les plus graves de la guerre palestino-libanaise de 1975 fut l'intervention militaire syrienne directe au Liban. C’est vrai que la Syrie avait beaucoup aidé les Palestiniens au début de la guerre, mais la décision unilatérale du Président Assad de traverser les frontières en 1976 devait compliquer encore plus le problème libanais, tout en se voulant sur le moment aider à la sauvegarde de l'unité et de la souveraineté libanaise.

En dehors des dégâts inestimables occasionnés par les bombardements de l'artillerie syrienne aussi bien des zones résidentielles que des zones industrielles de Beyrouth et de la montagne, le plus grand préjudice a été re¬ssenti au niveau de la cohésion nationale au Liban.

Loin de saper le moral des libanais par son artillerie lourde, la présence de l'armée syrienne soutenant certaines factions libanaises hier encore hostiles à l'intervention syrienne au Liban, a bloqué le processus de l'entente libanaise, neutralisant les derniers ponts qui existaient encore entre les différentes parties libanaises.

Il est inutile de décrire les sentiments des Libanais vis-à-vis de la Syrie après toute cette masse de sang, de destruction et de malheurs qui se sont abattus sur eux en si peu de temps.

Mais là aussi, nous avons surmonté nos propres sentiments, et ceci dans l’intérêt supérieur du Liban, et dans l’intérêt même de la Syrie, et nous nous sommes adressés aux responsables syriens pour leur rappeler que toute victoire de l’armée syrienne au Liban était vaine et que le véritable champ de bataille de l'armée syrienne était bien ailleurs.

Il était indispensable que les autorités syriennes révisent leur politique au Liban, car cette politique ne servait les intérêts ni du Liban, ni de la Syrie.

Les relations de la Syrie avec la Turquie, la Jordanie, ou l'Iraq ont d'ailleurs toujours été équilibrées : jamais la Syrie n'avait envisagé d'envoyer des troupes à Bagdad, même durant les moments les plus critiques lorsque la lutte était grande ouverte entre les deux capitales. Comme la Syrie peut être une source de troubles ou de stabilité pour le Liban, le Liban à son tour peut devenir source de troubles ou de stabilité pour la Syrie. Et les maux du Liban peuvent, et peut-être ont commencé à contaminer la Syrie.

De là, la nécessité de réviser les relations actuelles des deux pays, et de baser leurs relations futures sur les principes du respect mutuel et de la réciprocité sincère.

Dans la mesure où la Syrie aspire à être indépendante et libre dans sa politique arabe et internationale, elle devrait comprendre que le Liban aussi aspire à la même liberté et indépendance.

Le peuple libanais a prouvé au monde, au cours de ses cinq mille ans d’histoire, et plus spécialement lors de la guerre de quatre ans, qu'il méritait de vivre dans une patrie libre et indépendante.

Ces quelques milliers de martyrs qui se sont sacrifiés pour que Vive le Li¬ban digne et souverain, en sont l'illustration singulière la plus authen¬tique.

Il est temps que la sécurité libanais redevienne une responsabilité liba¬naise, nous ne demandons qu’une seule chose, c’est que la Syrie respecte le Liban, le Liban la respectera.

Nous n'avons jamais comploté contre personne, et nous nous opposerons à tous ceux qui chercheront à comploter contre nous ou qui chercheront à saper les fondements de notre existence et la dimension de notre ambition humanitaire.

LA SOLIDARITE ARABE ET LA TENTATION ISRAELIENNE

Nous avions été très étonnés, à l’occasion d'une visite officie11e effectu¬ée dans un pays arabe, d'entendre le chef de cet Etat, très proche par ai¬lleurs de la résistance palestinienne, nous déclarer brutalement que le Li¬ban avait l’obligation d’apprendre aux Musulmans, juifs et Chrétiens comment cohabiter ensemble et coexister dans cette partie du monde.
D'autre part, le Fath lui-même, depuis 1968, a clairement défini ses buts, comme étant l'établissement d’un Etat démocratique et laïque en Palestine où cohabiteraient toutes les religions de la région. Il ne manquait p1us au communiqué que d'ajouter: "à l’instar du Liban".

Cette guerre meurtrière a neutralisé le rôle du Liban et son interaction avec son environnement. C'était peut-être là le rôle recherché par ceux qui ne cessaient d'attiser le feu du complot, toutes les fois que les libanais croyaient être arrivés à la fin du rouleau.
Ce à quoi nous avons assisté au Liban ne relevait aucunement ni de nos traditions ancestrales, ni de nos sentiments de tolérance qui ont toujours distingué la société libanaise. L'ouverture du libanais sur les différentes civilisations et cultures lui a fait jouer un rôle unique, non seulement dans la région, mais dans tout le monde. N'avait-on pas avancé l'exemple du Li¬ban pour essayer de trouver une solution aux problèmes de Chypre et d'Irlande... C'est ce sens très développé des valeurs humaines contemporaines et un certain cartésianisme au niveau de la pensée politique qui a aidé le Liban à jouer son rôle.
C’est peut-être ceci qui a pu gêner ceux qui ne misaient pas sur ces principes, ils ont alors cherché à nous détruire.
Il ne reste pas moins que le Liban restera toujours ce trait d’union dynamique qu’il a toujours été. Son apport dans le monde arabe est inestimable tant sur le plan culturel, politique ou économique. Ce n'est pas le moment de rappeler le rôle joué par les Libanais tant pour sauver la culture arabe lors des tentatives d’ottomanisation, que pour faire évoluer cette culture à travers la presse, dans certains pays arabes, prise en charge par des li¬banais Chrétiens où à travers les écrits de certains de nos conc1toyens de¬venus célèbres dans le monde.

Sur le plan économique, Beyrouth a joué un tel rôle qu’aucune ville n’a pu jusqu’à ce jour la supplanter malgré tous les malheurs qui se sont abattus sur notre capitale : les tentatives de remplacer Beyrouth en tant que plaque tournante de l’Orient par Amman, Tunis ou Le Caire, durant les évènements de 1975-1976, se sont soldées par un échec. Et en dépit de tout ce qui s’est passé au Liban, les systèmes bancaires et monétaires au Liban ont survécu, rendant les mêmes services que par le passé. Les exportations des produits manufacturés en direction du monde arabe bien que ralenties, n’ont jamais cessé. Ceci nous permet d’affirmer à certains sceptiques que le Liban demeure le centre du dynamisme financier dans la région et même de sa compétence humaine.
Le Liban est donc une nécessité culturelle, économique et politique dans la région est elle-même déchirée par le problème israélo-arabe et subit le contrecoup des dissensions entre les grandes puissances.
Là aussi, le Liban a son rôle à jouer. Mais ce rôle devrait s’entendre dans le cadre de sa solidarité avec son environnement afin que son rapport soit efficace. Un Liban déchiré, coupé de son contexte, sera neutralisé et pourrait devenir lui-même un jour un nouveau problème pour la communauté internationale. Alors qu’une politique nationale saine rendrait au Liban son efficacité et c’est alors qu’il pourra prendre à sa charge la mission combien civilisatrice d’apprendre aux civilisations et confessions à cohabiter, à coexister et à se compléter. C’est ce qui m’inspire la réflexion suivante : « La paix au Moyen-Orient ne doit-elle passer nécessairement par la paix du Liban ».
Pour exister, le Liban ne peut être que cosmique : solidaire avec son environnement, mais le dépassant pour l’aider à la rencontre avec l’autre.
Les réflexions sur le problème libanais peuvent aller à l’infini. Ce petit pays de quelques milliers de kilomètres carrés peut, toutefois, s’enorgueillir d’avoir été porteur d’un Message civilisateur et le libanais, peuple presque sans moyens, d’avoir su se battre et mourir pour la sauvegarde de ce Message.
Nous avons prouvé que nous méritions de vivre. Devant la catastrophe, nous n’avons jamais pensé à ce que nous avions perdu, mais à ce qui nous reste et pourrait nous servir de tremplin pour l’avenir.