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Protection du pluralisme religieux au Moyen-Orient: La nécessité d’un concert religieux

2015-09-18

Protection du pluralisme religieux au Moyen-Orient:
La nécessité d’un concert religieux

Amine GEMAYEL
Président de la République Libanaise, 1982-1988

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Conférence sur
Les efforts multinationaux visant à promouvoir la liberté de religion ou de croyance:
Une action conjointe dans l’intérêt commun
New York, 17– 19 septembre 2015

Panel sur
Notre sécurité commune: Lancement d’un effort multilatéral pour réaliser
la liberté de religion ou de croyance pour tous
18 septembre 2015

Organisée par
La Fondation Konrad Adenauer
et
Le groupe international de parlementaires pour la liberté de religion ou de croyance

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Permettez-moi, de prime abord, de remercier chaleureusement mes amis de la Fondation Konrad Adenauer et du groupe international de parlementaires pour la liberté de religion ou de croyance d’avoir organisé cette importante consultation.

Les questions dont nous débattons sont cruciales, tant pour l’avenir du Moyen-Orient que pour l’établissement d’un système international basé sur la paix pour le vingt-et-unième siècle.

La corrélation directe entre la liberté de religion et de croyance et la paix a été reconnue par le père fondateur des Nations Unies, Franklin Delano Roosevelt, lorsqu’il énonce, en 1941, sa philosophie de base sur la sécurité internationale et l’ordre mondial plus communément dénommée « les quatre libertés ».

Les quatre libertés de Roosevelt comprennent la liberté d’expression, la liberté de vivre à l’abri du besoin, la liberté de vivre à l’abri de la peur, et [je cite] “la liberté de chacun d'honorer Dieu comme il l'entend — partout dans le monde.” [fin de citation]

Soixante-quatorze ans après le discours de Roosevelt, force est de constater, même pour l’observateur le moins avisé des événements au Moyen-Orient, qu’à de rares exceptions près, les quatre libertés sont en perte de vitesse partout dans la région.

Chacune des sombres victoires de l’Etat islamique (EI) constitue une défaite de plus pour la civilisation en général et pour la décence humaine et le pluralisme religieux en particulier. Dans des circonstances aussi sinistres, que peut-on faire?

Au dix-neuvième siècle, l’homme d’Etat autrichien Klemens von Metternich se fait le champion d’une approche pour la coopération internationale, qui porte le nom de concert européen.

Le concert européen était un consortium informel des grandes puissances qui ont œuvré à la résolution des querelles internationales en faisant prévaloir la diplomatie sur la guerre. Il a sans doute servi de précurseur aux mécanismes multinationaux informels comme la Ligue des Nations et les Nations Unies.

Dans l’environnement d’aujourd’hui marqué par la crise du pluralisme au Moyen-Orient, nous avons besoin d’un « Concert religieux » qui chapeauterait les efforts multiconfessionnels multinationaux afin d’instaurer les conditions propices à la liberté de religion et de croyance pour tous.

Le concert religieux proposé pourrait déboucher, comme son prédécesseur européen jadis, sur la création d’un mécanisme plus formel, une sorte de « Nations Unies spirituelles ».

Dans un premier temps, le concert religieux devrait réunir les leaders des différentes communautés religieuses dans le cadre d’un sommet spirituel qui consacre formellement les efforts conjoints visant à préserver le pluralisme religieux, notamment au Moyen-Orient.

Le pluralisme religieux constitue le pilier de la liberté de religion; toutefois, les deux notions sont distinctes: le pluralisme désigne la coexistence d’une diversité de communautés religieuses, alors que la liberté sous-entend le droit des individus à prendre eux-mêmes les décisions relatives à leur religion, voire à changer ou renoncer à leur religion.

A l’ombre du climat actuel au Moyen-Orient, tant le pluralisme religieux que la liberté de religion représentent des questions importantes et les deux se heurtent à des obstacles croissants. A l’heure où le pluralisme subit des assauts quotidiens, aucun effort ne devrait être épargné pour préserver le pluralisme religieux.

C’est pourquoi, et dans un second temps, le concert religieux devrait élaborer une stratégie au niveau de la région pour affronter la crise du pluralisme au Moyen-Orient. Un aspect de cette stratégie consisterait à diffuser une déclaration commune sur l’importance de la coexistence et de l’harmonie interconfessionnelles qui serait lue dans les mosquées, les églises et les synagogues de la région.

Dans un troisième temps, le concert religieux devrait mettre sur pied un groupe permanent de recherche et de plaidoyer chargé de recueillir les informations sur les menaces qui pèsent sur le pluralisme religieux et de communiquer les options pertinentes de politique aux Nations Unies, aux organisations régionales telles que la Ligue arabe et l’Union Européenne, et aux gouvernements nationaux.

Dans un quatrième temps, le concert religieux devrait s’atteler à recoudre les lambeaux du pluralisme au Moyen-Orient, y compris dans mon pays, le Liban. Au Moyen-Orient, voire dans un contexte plus global, le Liban s’impose comme la clé de voute du pluralisme religieux car il représente un centre symbolique du dialogue et de la coexistence interconfessionnels.

En effet, le Liban est le seul pays arabe à ne pas avoir connu un conflit interne étendu malgré un tissu confessionnel complexe. Par conséquent, il peut et doit servir de plateforme aux efforts régionaux tendant à protéger et élargir le champ du pluralisme religieux.

Au Liban et dans le monde arabe en général, les deux questions les plus pressantes en matière de pluralisme religieux concernent d’abord la protection du statut des Chrétiens et des autres communautés et, ensuite, l’instauration des rapports sunnites-chiites sur des bases favorables à une paix sur le long terme.

Dans un cinquième temps, le concert religieux devrait collaborer avec les organisations du Moyen-Orient qui se consacrent à l’élaboration d’une infrastructure pour la société civile comprenant des éléments tels que l’égalité des genres, l’état de droit et les médias indépendants.

Permettez-moi de partager avec vous à cet égard un document de réflexion, ou plutôt une charte, que j’ai élaborée récemment dans le but de réaliser la démocratie dans le monde arabe (disponible sur: http://www.aminegemayel.org/lectures/65/a-guiding-charter-for-arab-democracy).

La charte aborde les dispositions essentielles à la démocratie qu’il faudrait renforcer dans le monde arabe comme les droits de l’homme, les droits civils, les droits religieux, les droits des médias et, plus important peut-être, la protection du pluralisme.

En outre, je plaide depuis quelques années en faveur d’un concept qui pourrait aider le monde arabe à s’éloigner de ses tendances destructrices, une sorte de plan Marshall pour les pays arabes.

Ce plan Marshall n’est pas une ébauche détaillée prévoyant des niveaux, des mesures et des calendriers précis de financement. Il représente plutôt une alternative modérée qui devrait encourager les pays arabes, et plus particulièrement les jeunes, à s’approprier les idées démocratiques, y compris le pluralisme politique et religieux, comme prélude à l’adoption des systèmes démocratiques.

Mesdames et Messieurs, le Moyen-Orient est en proie à une crise aux proportions homériques, illustrée par les dérives sectaires d’un Etat Islamique en guerre contre toutes les formes de la décence, y compris le pluralisme religieux.

Fort heureusement, il ressort des développements récents que, sur le plan diplomatique du moins, les pays du Moyen-Orient plus large, ont commencé à coordonner leurs efforts de lutte contre l’EI. Toutefois, ces efforts concentrés de la part des Etats, qui passent également par des campagnes militaires, doivent être appuyés par les efforts des communautés religieuses afin de sauvegarder le pluralisme religieux.

Le lancement d’un second front, éventuellement plus puissant, contre l’EI, devrait constituer la principale mission de ce concert religieux. Je prie instamment la fondation Konrad Adenauer et le groupe international de parlementaires pour la liberté de religion ou de croyance de faire pression en faveur d’un tel concert.

Je vous remercie de votre attention.