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UNIVERSITE CASPER LIBERO Sâo Paolo

1997-04-24

LA GLOBALISATION, LE LIBAN, ET LE PROCESSUS DE PAIX AU MOYEN ORIENT

AMINE GEMAYEL

UNIVERSITE CASPER LIBERO
Sâo Paolo, le 24 Avril 1997.

Mesdames et Messieurs,

Je suis très heureux d’être parmi vous ce soir, ici même à Sao Paolo, au Brézil, une ville et un pays qui me sont très chers à plus d'un titre. Ici, chaque libanais s'est toujours senti chez lui ; à chacun de mes voyages j'ai pu constater les affinités profondes qui existent entre nos deux peuples et nos deux pays qui, indépendamment des distances qui nous séparent géographiquement, partagent les mêmes aspirations et luttent pour leurs développements et l'affirmation de leur identité nationale.
Je voudrai remercier le recteur de l'Université "casper Libero " et les organisateurs de ce débat pour leur aimable invitation, et vous remercier vous tous d'être venus nombreux ce soir pour m'écouter parler de mon pays et du Moyen Orient. Votre présence ici même est d'autant plus méritoire que des chancelleries, des observateurs et des chroniqueurs politiques occultent de plus en plus la cause du Liban au profit d'intérêts plus généraux. Certains mêmes feignent d'oublier que le pays des Cèdres est une entité nationale, internationalement reconnue, et que cette entité a les mêmes droits que toutes les autres entités de la région.
En cette fin du XXème siècle, où l'on parle essentiellement de "Globalisation", la responsabilité de la réflexion et de la recherche des solutions à tous les problèmes qui secouent le monde est une responsabilité commune; et pour vous, la jeunesse de ce grand et beau pays, de grands et magnifiques défis vous attendent.

Dans mon exposé de ce soir, Je vais :
(A) tout d'abord vous parler précisément de la nature de ces "challenges" qui vous guettent en tant que futurs cadres du Brézil, de l'Amérique latine et du monde.
(B) Puis, je vous parlerai du Moyen Orient, la région d'où je viens et qui continue à faire couler beaucoup d'encre, mais aussi de sangs et de larmes; je brosserai un tableau rapide de l'état des négociations entre palestiniens et israéliens depuis l'élection en Israël de Benyamine Netanyahu comme premier ministre.
(C) J'évoquerai pour terminer la dimension libanaise de ces négociations, et la situation en général dans mon pays.

A - Les DEFIS des Universitaires du Brézil.
Mes chers amis, futurs cadres et espoir de ce pays, vous avez la chance de vous ouvrir sur la vie professionnelle, sur le monde des adultes en quelques sortes, alors que le monde tout entier prend en cette fin du XXème siècle un nouveau départ et que la société universelle est en véritable mutation. Ce n'est pas simplement un nouveau Millénaire que nous inaugurerons bientôt, mais une nouvelle conception de la politique, et du rôle de l'Homme dans cette société du XXIème siècle. Avec la chute du Communisme, l'écroulement du Mur de Berlin, la fin du régime de l'Apartheid en Afrique du Sud, etc.., les sociologues espèrent que cette société sera plus humaine, plus ouverte et plus tolérante. De toutes les façons, elle sera ce que vous, cadres de l'avenir, futurs leaders politiques ou professionnels vous en ferez. Mais votre tâche reste énorme. C'est vrai qu'un nouveau consensus international nous donne un nouvel espoir, mais des problèmes très graves continuent à diviser les Hommes, et d'affecter la société mondiale:
La prolifération des armes nucléaires et chimiques; l'incertitude angoissante dans certains pays des Balkans; les guerres civiles sanglantes en Afrique centrale; les conflits meurtriers au Moyen Orient qui persistent malgré les derniers accords de paix; sans oublier les grands problèmes des inégalités sociales graves, de la pauvreté, de la drogue, de la discrimination, des oppressions, des maladies, le Sida par exemple, etc.. Vous voyez, un grand chemin reste donc à faire. Il y a une nouvelle prise de conscience, un nouvel espoir, et la jeunesse ne doit pas décevoir.
La mutation la plus importante de ces derniers temps, c'est la démocratisation de la vie politique en général. Les temps où les grandes décisions qui déterminaient notre sort étaient prises en dehors de la volonté populaire et de l'intérêt des peuples ces temps-là sont dépassés. L'époque est révolue lorsque Metternick, Bismark, et Chamberlin, déterminaient notre destin à partir de Berlin, Vienne, ou Londres. Le temps de Yalta où les grands se divisaient le monde est aussi révolu. Et la nostalgie de Kissinger évoquée dans son nouvel ouvrage "Diplomatie" qui prone la REALPOLITIK n'a plus court. C'est vrai que les Etats Unis devenus la dernière super puissance du monde exerce une influence grandissante sur la politique mondiale, mais il lui est difficile d'ignorer ce courent mondial de démocratisation des systèmes et d'émancipation des peuples. Mêmes les dictateurs les plus implacables sentent de plus en plus le besoin de justifier leur politique et de rechercher un minimum de légitimité populaire. Le développement de l'audiovisuel, des moyens de transport rapides, de tous les moyens de communications, de l'Internet etc.. ont fait tomber les frontières entre les hommes, et désarmer les velléités cyniques des derniers nostalgiques des anciens temps.
Je crois en vous, jeunesse de ce nouveau monde, futurs leaders de la "Globalisation", comme on se plait d'appeler cette nouvelle solidarité mondiale. Je suis sûr que nos jeunes cadres Bréziliens joueront tout leur rôle dans la direction de cette "société humaine" et qu'ils donneront toute sa mesure et son importance au rôle des véritables valeurs morales en politique. Votre éducation dans cette noble Université vous donne le sens profond de la justice de l'équité. J'espère que vous vous sous distinguerez par une troisième qualité: le Courage. Le courage de lutter pour ces valeurs de justice et d'équité; le courage d'affronter la réalité, quelque difficile qu'elle soit; le courage d'entreprendre.
Dans ma région du Moyen Orient, quelques hommes ont eu ce courage d'entreprendre, le courage d'inverser la dynamique de la haine et de la guerre; ils ont redonné aux générations futurs la chance d'espérer, et au Moyen Orient une opportunité de paix. C'est de cela que je vous parlerai maintenant.

B - Les initiatives de paix au Moyen Orient. I- L'Etat de ces Négociations.

1 .Les initiatives de paix au Moyen Orient ont été une préoccupation permanente de la part, non seulement des peuples de la région, mais aussi de toute la communauté internationale. La première initiative internationale qui a installé les bases juridiques et diplomatiques de ces négociations est la Résolution 242 du Conseil de Sécurité de L'ONU de 1967, qui a énoncé le principe de "la terre contre la Paix". C'est à dire qu'Israël rendrait les terres occupées lors de la "Guerre des Six Jours", contre un engagement de la part des Etats arabes de reconnaître l'Etat Hébreu et de conclure un accord de paix avec lui.

2 .Mais l'application de cette résolution traînait le pas, et il faudra attendre l'élection en Egypte du président Sadate pour passer à l'acte, et forcer le destin. Anouar El Sadate et Menahim Begin signeront, le 26 mars 1979, les accords de Camp David instaurant la Paix entre l'Egypte et Israël. Les autres arabes, pris de court par la "témérité" du président égyptien, attendront 1991 pour s'engager à leur tour sur la voie de la paix. A l'initiative du président Georges Bush, grand vainqueur de la guerre du golfe qui avait opposé l'Irak au Koweït, et seul maître du monde après l'écroulement de l'Union Soviétique, Arabes et Israéliens se réunissaient à Madrid, le 30 octobre 1991, pour donner le coup d'envoi à une véritable dynamique de paix. Celle-ci aboutira à la conclusion de deux nouveaux accords :
•Le premier, entre Yasser Arafat et Itzhac Rabin, le 13 septembre 1993, les accords d'Oslo, •
•et le deuxième, entre le roi Hussein de Jordanie et Itzhac Rabin, le 26 octobre 1994, les accords de Wadi Arba.
Le premier met fin à l'Intifada, a) énonce un cessez le feu entre les palestiniens et les israéliens, b) l'évacuation progressive de territoires en faveur de la nouvelle "autorité palestinienne", c) et l'ouverture dans un délai de deux ans de négociations entre les deux parties sur le statut juridique de la nouvelle entité palestinienne, et celui de la ville de Jérusalem ;
L'accord de Wadi Arba, quant à lui, normalise les relations entre la Jordanie et Israël dans tous les domaines, en même temps qu'il prévoit un retour progressif étalé sur 25 ans de certains territoires jordaniens exploités par Israël.

3 .Mais avec la Syrie, les négociations qui se sont poursuivies à Wye Plantation, prés de Washington, sous l'égide des américains, n’aboutissaient à aucun résultat concret si ce n'est l'adoption d'une vague déclaration d'intention un " non papier " qui ne lie personne et qui sera d'ailleurs récusée en Israël par la nouvelle équipe gouvernementale. Malgré l'empressement de Rabin et Pérès de finaliser un accord avec Damas, deux points de discorde continueront de diviser les deux parties :
• •Le premier concerne la nature de la normalisation entre les deux pays ; les syriens la voient froide et restrictive, alors que les israéliens la veulent chaude et extensive.
• •Le deuxième concerne le retrait militaire du Golan ; Israël réclame un retrait sur la base des frontières établies du temps du mandat britannique et qui donne l'avantage à Israël, la Syrie insiste sur le retrait aux frontières de 1967 qui sert les intérêts de la Syrie.
Mais, ce sont surtout, des facteurs psychologiques et historiques qui empêchent ou tout au moins retardent la réconciliation entre Syriens et Israéliens. Le Secrétaire d'Etat américain Warren Christopher désespérait de voir les négociations de Wye Plantation aboutir. Il déclarait à Los Angeles en Avril 96 : "Notre impression est que Assad voudrait poursuivre les négociations avec l'Etat d'Israël, mais nous ne sommes pas sûrs qu'il veuille vraiment conclure un accord de Paix avec lui." Cette remarque confirme l'ambiance qui prévaut à Damas, très réfractaire idéologiquement à une véritable normalisation avec l'Etat Hébreu.
4.L'accession de Netanyahu à la tête de l'exécutif en Israël ne facilitera pas les négociations, non plus. Elle va même modifier le cap du processus de paix, et ralentir le rythme de la diplomatie dans la région. Les priorités de l'actuel gouvernement Likoud qui sont la Sécurité et la Défense, sont différentes de celles du dernier gouvernement Travailliste, qui était la Paix et le Développement. De surcroît, la sensibilité religieuse et idéologique des membres de l'équipe de Benyamine Netanyahu complique encore plus la solution de certains problèmes épineux comme celui
a)du sort des territoires occupés en 1967 et 1973,
b )de la gestion actuelle et du devenir de la ville sainte de Jérusalem,
c) du devenir des implantations juives en terres arabes, dont le Golan,
d )et du statut définitif de l'entité palestinienne, que Arafat voudrait indépendante, alors que le Likoud ne parle que d'autonomie.

En ce qui concerne l'affaire palestinienne, Netanyahu est embarrassé par l'attitude à prendre vis à vis des accords d'Oslo. Il ne peut les récuser aux risques de subir les conséquences d'une dénonciation unilatérale d'un accord international. Et les accepter tels quels, serait contraire à sa conception de la nature de la paix et des relations avec les palestiniens. Le Premier ministre israélien envisage une solution dans le sens de la formule suivante : "Maximum d'autodétermination, pour un Maximum de sécurité" ; la priorité allant, évidemment, à la Sécurité qui devrait conditionner l'autodétermination, pour ne pas dire la limiter. Selon lui, la sécurité ne se conçoit pas dans la construction d'un mur entre les gens, l'enclavement ; c'est à dire la partition pure et simple du sol entre deux entités, l'une palestinienne et l'autre israélienne. C'est d'ailleurs, ainsi, que le Likoud justifie son opposition à l'établissement d'un Etat palestinien indépendant, et justifie sa politique de développement des colonies juives en terres palestiniennes.
Il faudra s'attendre à encore plus de difficultés le moment -s'il devait arriver - où il faudra discuter par exemple, du problème de l'eau, de celui de la politique démographique et de l'immigration. Les tergiversations de la nouvelle équipe gouvernementale en Israël en ce qui concerne les accords d'Oslo vont embarrasser certains responsables et pays arabes, remettre en cause un début de normalisation avec eux, et radicaliser les masses arabes et islamiques qui avaient cru un moment en la dynamique de la paix.

* * *

La Syrie embarrassée, le cliquetis des armes...

Mais je ne crois pas pour autant que la guerre soit imminente. La Syrie n'est pas vraiment prête pour une aventure militaire. Depuis le démantèlement de l'Union Soviétique, l'armée syrienne manque même de l'essentiel ; et Israël n'est pas pressé non plus d'envoyer ses jeunes à la guerre quand ses intérêts vitaux ne sont pas sérieusement menacés. Damas n'est pas pressée de se retirer du Liban, ni Tel Aviv du Golan ; l'une et l'autre se sont bien accommodés de la situation actuelle qui sert leurs intérêts respectifs.
D'ailleurs Netanyahu ne ménage aucun effort pour essayer de renouer, si possible, le dialogue avec la Syrie. Il conçoit ce dialogue sur deux voies parallèles :
••la première serait de convenir de la mise en place d'un système conjoint de prévention des dérapages militaires, qui aiderait à engager des négociations politiques dans le calme et la confiance. Cette approche s'inspire du système de la CSCE, mis en place dans les années 70, en plein milieu de la guerre froide, pour prévenir toute escalade militaire entre le groupe des pays membres de l'Otan, et celui des pays membres du Pacte de Varsovie.
• En parallèle, Netanyahu proposerait à Assad un panier de mesures qui, selon lui, concernent le fond du problème syro-israélien ; Parmi ces propositions :
1) Israël reconnaîtrait le leadership arabe de la Syrie, passage obligé à toute paix dans la région.
2) Israël serait disposé, sans conditions préalables, à discuter avec Damas tous les sujets évoqués à Wye Plantation, y compris l'évacuation de son armée du Golan.
3) Le dernier point et le plus cynique, Israël se retirerait du Liban, militairement et politiquement, en accord avec la Syrie, et à l'avantage de cette dernière, lui reconnaissant tous les droits sur le pays des Cèdres.
Pour sa part, Damas ne considère pas que les deux premiers points de ce panier de propositions touchent effectivement aux problèmes de fond qui opposent les deux pays. Le Président Assad veut, des engagements fermes de la part de l'Etat Hébreu concernant le retrait de son armée de tout le plateau du Golan, préalablement à toutes reprises des négociations. Il considère que ceci avait été déjà convenu avec Rabin et Pérès avant le changement de gouvernement. Damas a donc fait la sourde oreille lorsque le ballon d'essai de Netanyahu fut lancé au mois d'Août dernier. Bien au contraire. L'attentat perpétré la semaine dernière par le FPLP de Georges Habache contre des colons Juifs à côté de la ville de Ramallah peut être considéré comme une indication des intentions syriennes. Il ne faudrait pas oublier que Habache réside en Syrie, et que son groupe agit toujours en étroite collaboration avec les services syriens.
Quant au dernier point qui concerne mon pays, le Liban, ce serait une très grave erreur stratégique que de croire qu'on peut réaliser la Paix entre deux pays aux dépens des intérêts nationaux d'un pays tiers. La paix qui ne respecte pas les droits des peuples à l'autodétermination et le droit des nations à la souveraineté n'en est pas une. Bien au contraire. C'est une incitation à la guerre. Si on permettait à ce processus de paix de devenir un jeu amoral de bras de fer politique où les faibles deviennent une monnaie d'échange pour faciliter l'intérêt des plus forts, alors, je peux vous dire que ce même processus serait plutôt une incitation à la violence. La logique de Yalta n'a plus court en cette fin du XXème siècle. Les dernières guerres en Bosnie et en Tchétchénie, où les plus forts avaient cru pouvoir disposer du sort des plus faibles, devraient servir d'enseignements à toutes les parties concernées.
Ceci m'amène au deuxième point de mon exposé : Le Liban.

II- La Dimension Libanaise.

1 Otage depuis la fin des années 60 du conflit arabo-israélien, mon pays risque encore une fois de faire les frais de ce processus. Occupé au nord par l'armée syrienne depuis 1976, et au sud par l'armée israélienne depuis 1978, le Liban est en train de perdre sa liberté, ses droits, son rôle et sa personnalité. Il est manipulé de toutes parts, dans l'indifférence de tous, sinon avec la complicité des grandes puissances. A cette étape où toutes les entités du Moyen Orient sont en train de décider de leur avenir, le Liban, dont la volonté est confisquée, est en train de manquer son rendez-vous avec l'histoire.
2 Quant au contentieux entre le Liban et Israël, nous vivons un véritable paradoxe. Alors que ce contentieux est le plus aisé à résoudre comparé à celui de l'Etat Hébreu avec les autres pays arabes, le Liban n'arrive toujours pas à se frayer une place autour de la table des négociations qui pourtant devrait décider de son propre sort. Notre capitale, Beyrouth, n'a pas la connotation idéologique de Jérusalem, le sud Liban, n'a pas l'intérêt stratégique du Golan, et les impératifs sécuritaires entre les deux pays peuvent être facilement résolus. Jusqu'au début de la guerre du Liban, nos frontières avec Israël étaient les plus calmes, et le Liban n'avait participé ni à la guerre de 67, ni à celle de 73. Malgré cela, ce contentieux reste bloqué. Pourquoi ? Parce que tout simplement, le Liban n'est pas libre de ses décisions. Il lui est interdit de prendre part aux négociations. Il est l'otage des intérêts syriens et Damas l'utilise comme monnaie d'échange... avec d'ailleurs la complicité des autres parties concernées au nom du pragmatisme et de la " realpolitik ".
3 Depuis les accords de Taëf de 1989, qui nous ont été imposés presque manu militari, la volonté libanaise a été implacablement et hermétiquement verrouillée. Damas, qui entretient sur notre sol 40.000 soldats environ, nous impose nos gouvernants, nos lois, et jusqu'aux moindres décisions à caractère politique ou administratif qui se prennent au quotidien dans la capitale syrienne où nos responsables y ont presque élu domicile.
4 .Et s'il est prématuré pour nous d'envisager dans l'immédiat l'éventualité d'une paix séparée avec Israël, il nous est même interdit de rechercher ou d'accepter un arrangement provisoire, une trêve, qui permette aux libanais de reprendre leur souffle, et de se remettre à réfléchir sereinement à leur avenir. Depuis 1978, les gouvernements libanais successifs ont proclamé, à corps et à cris, leur volonté d'appliquer les résolutions 425 et 426 de l'ONU qui stipulent le retrait de l'armée israélienne du Sud et l'application de certaines mesures de sécurité à la frontière. Même le gouvernement actuel inféodé à la Syrie le réclame tout aussi haut. Or, lorsque le premier ministre israélien Benyamine Netanyahu propose des négociations à ce sujet, et se dit prêt à négocier avec le Liban des arrangements sécuritaires provisoires contre le retrait de son armée de chez nous, Damas refuse en notre nom le principe même de cette éventualité. Cyniquement, la Syrie cherche àentretenir la poudrière libanaise, aux dépens de la souveraineté et des intérêts du pays et aux dépens de la sécurité et des droits de nos citoyens dont elle se sert comme monnaie d'échange dans ses négociations avec l'Etat Hébreu. Les Syriens et les Israéliens s'efforcent d'éviter toutes provocations sécuritaires ou militaires à leurs frontières, où ils y maintiennent le calme et l'ordre. Mais le bras de fer diplomatique entre Damas et Tel Aviv se traduit sur notre sol, diaboliquement, en une confrontation meurtrière, où les libanais leur servent de chaire à canons et de boucliers humains. Pourtant, sur tous les autres fronts , les canons se sont tus et tous les autres arabes ont convenu de ranger la hache de guerre, de se mettre à table avec les israéliens et de discuter.
5 .Le premier pas vers la solution pratique du problème libanais serait d'une part, la mise en place d'un mécanisme d'application des résolutions 425, 426 et 520 de l'ONU qui stipulent le retrait des armées étrangères du Liban , et d'autre part, la mise en application de certains accords à caractère international, dont les accords de Taëf de 1989. Bien que contestés sur divers points, il n'en reste pas moins que l'application de certaines dispositions de ces accords de Taëf apportera une contribution substantielle à la solution du problème libanais. A titre d'exemple, je mentionne notamment que la réconciliation nationale sans exclusives ni exclusions convenue dans ces accords est restée lettre morte. Tous les opposants au pouvoir ont été soit assassinés, soit emprisonnés, soit obligés à l'exil, ou tout au moins exclus de la vie politique. D'autre part, ces mêmes accords avaient prévu pour l'année 1991, le redéploiement des forces syriennes dans la plaine de la Békaa à l'Est du pays. Ce redéploiement n'a jamais eu lieu. La réalisation de ces deux dispositions, pourtant décidées à Taëf et avalisées par la communauté internationale comme prélude à la paix libanaise, peut donner un peu d'oxygène aux libanais, les aider à reprendre progressivement leur destinée en main, et replacer le Liban sur l'échiquier régional et international. Nous ne demandons pas l'impossible. Mais un début d'application des accords qui nous avaient été imposées sous prétexte d'aider à la restauration de la paix libanaise.
6 .Il est à craindre que si la situation chez nous restait en l'état, et le harcèlement contre les libanais se poursuivait, nous n'aboutissions à une crise pire que celle de la Bosnie, avec son lot de sangs, d'exode et de purification ethnique. Il y a un an, le Synode sur le Liban qui s'était tenu à Rome sous la présidence de Sa Sainteté le Pape Jean Paul II, avait mis en garde contre les dangers qui guettent mon pays. Ce mois-ci, les hautes instances catholiques au Liban, pourtant connues pour leur modération, n'ont pas manqué dans un communiqué solennel et dramatique, de lancer un signal d'alarme contre la politique d'ostracisme appliquée par le gouvernement mis en place par la Syrie.
Même certains leaders musulmans, dont des députés, ne ménagent plus, aux risques de leurs vies, les critiques de la situation et expriment leurs appréhensions quant à l'avenir de notre pays. Madame Alia El Solh, fille de feu Riad El Solh, le père de l'indépendance nationale, et figure éminente de la communauté musulmane sunnite au Liban, a même lancé le 5 novembre dernier un appel émouvant à la France et à la communauté internationale. C'était à l'issu d'une cérémonie de remise de prix qui s'est tenu au Sénat français, à Paris, Madame Solh a déclaré, et je cite : " Pour la liberté de parole, j'ai mérité un prix en France, chez moi aujourd'hui, j'aurai reçu une balle dans le dos." ... Elle poursuit : : "Le Liban est occupé à 20 % par les israéliens, ..le reste est une colonie syrienne... " et pour ceux qui prétendent que la Syrie est venue au Liban pour nous aider, madame Solh leur demande : "Mais est-ce aider que d'asservir ?, Est-ce guider que d'avilir ? ... Ils ont assassiné ce beau rêve et ont trouvé des fossoyeurs libanais pour faire disparaître le cadavre... Ils ont même rasé l'histoire" (Fin de citation)
Tout ceci avec l'aval des grandes puissances qui ne réalisent pas que le Liban est sur la voie d'un processus galopant et irréversible d'effritement de l'entité nationale qui, de plus, peut à n'importe quel moment contaminer la région toute entière.
Les libanais et tous les peuples du Moyen Orient appellent de leurs voeux une implication internationale dans le processus de paix,

* * *

Voilà, Mesdames et Messieurs quelques réflexions concernant le processus de paix dans notre région. Ce défi concerne l'humanité entière, dans la mesure où le Moyen Orient est le berceau de trois religions révélées : le christianisme, l'Islam et le Judaïsme, et qu'il peut être tout aussi bien source d'inspiration spirituelle édifiante, ou source de troubles et de conflits meurtriers.
Et ce défi est tout spécialement le notre ; C'est le défi de chaque Libanais. Le Liban n'a-t-il pas été pendant longtemps cette terre d'accueil où précisément des femmes et des hommes, appartenant à ces trois religions, y avaient conclus en leur âme et conscience, un pacte d'honneur et de convivialité ?
Ces femmes et ces hommes n'ont-ils et n’ont- elles pas témoigné chez nous, en faveur des valeurs de liberté, de tolérance et de dignité humaine prônées par Moïse, Jésus et Mahomet ?
Le Liban, tout au long de son histoire, a expérimenté l'adversité et a souffert les persécutions. Mais il n'a jamais abdiqué. Aujourd'hui je réitère en son nom cet engagement de poursuivre jusqu'au bout ce combat, pour que revivent la Liberté et la Paix.