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LE PROCESSUS DE PAIX AU PROCHE ORIENT Le rôle de l'Europe - L'Avenir du Liban

1996-12-17

AMINE GEMAYEL

LE PROCESSUS DE PAIX AU PROCHE ORIENT
Le rôle de l'Europe - L'Avenir du Liban

* * *

ECOLE NATIONALE DES PONTS ET CHAUSSEES
PARIS, LE 17 DECEMBRE 1996

Mesdames et Messieurs,

Je voudrai remercier les organisateurs de ce débat pour leur aimable invitation, et vous remercier vous tous d'être venus nombreux ce soir m'écouter parler du processus de paix au Moyen Orient. Votre présence ici même est d'autant plus méritoire que des chancelleries, des observateurs et des chroniqueurs politiques ont feint d'oublier que le Liban est une entité nationale internationalement reconnue, et que cette entité a le droit et le devoir de participer en tant que telle aux débats et négociations en cours.

Je brosserai d'abord un tableau rapide de l'état de ces négociations depuis l'élection en Israë de Benyamine Netanyahu comme premier ministre, j’évoquerai ensuite la dimension libanaise de ces négociations, et je terminerai sur la contribution que devrait apporter l'Europe dans ce processus de Paix.

I- L'Etat de ces Négociations.

1. Les initiatives de paix au Moyen Orient ont été une préoccupation permanente de la part, non seulement des peuples de la région, mais aussi de toute la communauté internationale.
Cette région riveraine de la Méditerrannée affecte tous les autres pays riverains, y transportant depuis des années, instabilité et actes de violence. La première initiative internationale qui a installé les bases juridiques et diplomatiques de ces négociations est la Résolution 242 du Conseil de Sécurité de L'ONU qui a énoncé le principe de la terre contre la Paix. C'est à dire, qu'Israël rendait les terres occupées lors de la guerre de juin 1967, plus connue sous le nom de "Guerre des Six Jours", contre un engagement de la part des Etats arabes de reconnaître l'Etat Hébreu et de conclure un accord de paix avec lui.
2. Mais l'application de cette résolution trainait le pas, et il faudra attendre l'élection en Egypte du président Anoua El Sadate pour passer à l'acte, et forcer le destin. Anouar El Sadate et Menahim Begin signeront, le 26 mars 1979, les accords de Camp David instaurant la Paix entre l'Egypte et Israël. Les arabes pris de court par la "témérité" de Sadate, attendront 1991, à la suite de la guerre du Golfe et de l’écroulement de l'Union Soviétique, pour s'engager à leur tour sur la voie de la paix. A l'initiative du président Georges Bush, grand vainqueur de la guerre du golfe qui avait opposé l'Irak au Koweit, Arabes et Israéliens se réunissaient à Madrid, le 30 octobre 1991, pour convenir des nouveaux fondements de la Paix entre eux. Une véritable dynamique est alors enclenchée qui aboutira à la conclusion de deux nouveaux accords, entre Yasser Arafat et Itzhac Rabin, le 13 septembre 1993, les accords d'Oslo; et entre le roi Hussein de Jordanie et Itzhac Rabin, le 26 octobre 1994, les accords de Wadi Arba. Le premier met fin à l'Intifada, annonce un cessez le feu entre les palestiniens et les israéliens, l'évacuation progressive de territoires en faveur de la nouvelle "autorité palestinienne" et l'ouverture dans un délai de deux ans de négociations entre les deux parties sur le statut juridique de la nouvelle entité palestinienne, et celui de la ville de Jérusalem. L'accord de Wadi Arba prévoit la paix et la normalisation des relations entre la Jordanie et Israël, et ceci dans tous les domaines, en même temps qu'un retour progressif étalé sur 25 ans de certains territoires jordaniens exploités par Israël.
3. Mais avec la Syrie, les négociations qui se sont poursuivies à Wye Plantation, près de Washington, sous l'égide des américains, traînaient le pas. Malgré l'empressement de Rabin et Pérès de finaliser un accord avec Damas, deux points de discorde continuaient de diviser les deux parties: Le premier concerne la nature de la normalisation entre les deux pays: les syriens la voient froide et restrictive, alors que les israéliens la veulent chaude et extensive. Le deuxième concerne le retrait militaire du Golan; Israël réclame un retrait sur la base des frontières établies du temps du mandat britannique et qui donne l'avantage à Israël, la Syrie insiste sur le retrait aux frontières de 1967 qui sert les intérêts de la Syrie. Le Secrétaire d'Etat américain Warren Christopher, bien avant l'avènement de l'équipe Netanyahu, paraissait déjà sceptique quant à la position syrienne. Il déclarait à Los Angeles en Avril 96: "Notre impression est que Assad voudrait poursuivre les négociations avec Israël, mais nous ne sommes pas sûrs qu'il veuille vraiment aboutir à un accord de Paix avec lui." Cette remarque confirme l'ambiance qui prévaut à Damas, très réfractaire idéologiquement à une véritable paix avec l'Etat Hébreu.
4. L'accession de Netanyahu à la tête de l'exécutif en Israël a modifié le cap du processus de paix, et ralenti le rythme de la diplomatie dans la région. Les priorités de l'actuel gouvernement Likoud: Sécurité et Défense, ne sont pas les mêmes que celles du dernier gouvernement Travailliste: Paix et Développement. De surcroit, la sensibilité religieuse et idéologique des membres de l'équipe de Benyamine Netanyahu complique encore plus la solution de certains problèmes épineux comme celui a) des territoires occupés en 1967 et 1973, b) la gestion actuelle et le devenir de la ville sainte de Jérusalem, c) le devenir des implantations juives en terres arabes, dont le Golan, d) et le statut définitif de l'entité palestinienne, que Arafat voudrait indépendante, alors que le Likoud ne parle que d'autonomie; etc...
En ce qui concerne l'affaire palestinienne, Netanyahu est embarrassé par l'attitude à prendre vis à vis des accords d'Oslo. Il ne peut les recuser aux risques de subir les conséquences d'une dénonciation unilatérale d'un accord international. Et les accepter tels quels, serait contraire à sa conception des relations avec les palestiniens. Le Premier ministre israélien cherche une solution dans le sens de la formule: "Maximum d'autodetermination, pour un
Maximum de sécurité" Mais pour lui, la sécurité ne se conçoit pas dans la construction d'un mur entre les gens, l'enclavement; c'est à dire la partition pure et simple du sol entre deux entités, l'une palestinienne et l'autre israélienne. Tout au moins c'est ainsi qu'il justifie sa politique de développement des implantations décriée par les palestiniens et tous les arabes. Il faudra s'attendre à encore plus de difficultés le moment - s'il devait arriver – où il faudra discuter par exemple, du problème de l'eau, de celui de la politique démographique et de l'immigration. Les hésitations de la nouvelle équipe gouvernementale en Israël en ce qui concerne les accords d'Oslo vont remettre en cause un début de normalisation avec certains pays arabes et radicaliser les masses arabes et islamiques qui avaient cru un moment en la dynamique de la paix.
Mais plus grave. C'est le cliquetis des armes qui se fait de nouveau entendre après 14 ans d'une trêve plus ou moins bien respectée. Depuis mai 1996, la tension est surtout montée entre les syriens et les israéliens. Le mois dernier l'armée syrienne entame une opération de redéploiement de ses forces sur le plateau du Golan laissant croire à des intentions belliqueuses. Selon des spécialistes israéliens, le président syrien chercherait à provoquer une confrontation limitée et occuper par surprise quelques positions sur le Golan, de quoi alarmer les américains qui interviendraient aussitôt pour circonscrire le conflit et remettre les négociations sur les rails à l'avantage cette fois-ci de la Syrie. Mais la riposte israélienne ne se fit pas attendre. Le 16 novembre dernier, le ministre israélien de la défense, Itzhac Mordekhay haussait le ton et parlait d'une possibilité de confrontation militaire, et même d'ajouter: "cette fois-ci c'est le régime à Damas lui-même qui sera notre cible". C'est alors le branle-bas-de-combat sur le front du Golan, où l'armée israélienne sort de ses abris et se prépare à toutes les éventualités. Les responsables militaires israéliens ont d'ailleurs, tout de suite, réclamé au gouvernement et à la Knesseth l'augmentation urgente du budget militaire de 9,5 milliards de dollars à 10,5 milliards.
Cependant, il n'est pas dit que la confrontation militaire est imminente. La Syrie n'est pas vraiment prête pour une aventure militaire. Depuis le démantèlement de l'Union Soviétique, l'armée syrienne manquait même de l'essentiel; et Israël n'est pas pressé non plus d'envoyer ses jeunes à la guerre quand ses intérêts vitaux ne sont pas en péril. Ni Damas est pressée de se retirer du Liban, ni Tel Aviv du Golan; l'un et l'autre se sont bien accommodés de la situation actuelle qui sert leurs intérêts respectifs.
D'ailleurs Netanyahu ne ménage aucun effort pour essayer de renouer si possible le dialogue avec la Syrie. Il conçoit ce dialogue sur deux voies parallèles:
La première serait la mise en place d'un système de prévention des dérapages militaires, afin de créer un climat sain de concertation, loin des surenchères et des menaces. Cette approche s'inspire du système de la CSCE, mis en place dans les années 70, en plein milieu de la guerre froide, pour prévenir toute escalade militaire entre le groupe des pays membres de l'OTAN, et celui des pays membres du Pacte de Varsovie. Selon ce plan, la Syrie et Israël mettraient en place des équipes de travail conjointes élargies et à caractère sécuritaire, chargées de régler les conflits capables de dégénérer en guerre; ceci aiderait au maintien d'un dialogue permanent entre ces parties.
En parallèle, Netanyahu proposerait à Assad un panier de mesures qui concernent le fond du problème syro-israélien. Parmi ces propositions, par exemples:
1) Israël reconnaitrait qu'aucune paix définitive au Moyen Orient ne se concevrait sans la Syrie.
2) Israël serait disposé, sans conditions préalables, à discuter avec Damas l'évacuation de son armée du Golan.
3) Israël serait aussi disposé à discuter tous autres sujets complémentaires à ceux évoqués à Wye Plantation.
4) Dernier point et le plus cynique, Israël se retirerait du Liban militairement et politiquement, en accord avec la Syrie, et à l'avantage de cette dernière qui aurait alors la haute main sur le sort du pays des Cèdres.

Sur les trois premiers points de ce panier de propositions, aucun ne traite vraiment du fond du contentieux avec la Syrie. Le président Assad a donc fait la sourde oreille lorsque ce ballon d'essai fut lancé à la fin de l'été dernier. Bien au contraire. L'attentat perpétré la semaine dernière par le FPLP de georges Habache contre des colons Juifs à côté de la ville de Ramallah peut être considéré comme une indication des intentions syriennes. Il ne faudrait pas oublier que Habache réside en Syrie, et que son groupe agit toujours en étroite collaboration avec la Syrie.
Quant au dernier point qui concerne mon pays, le Liban, ce serait une Très grande erreur stratégique que de croire qu'on peut réaliser la Paix entre deux pays aux dépens des intérêts nationaux d'un pays tiers. La paix qui ne respecte pas les droits des peuples l'autodetermination et le droit des nations à la souveraineté n'en est pas une. Bien au contraire. C'est une incitation à la guerre. Si on permettait à ce processus de paix de devenir un jeu amoral de bras de fer politique où les faibles deviennent une monnaie d'échange pour faciliter l'intérêt des plus forts, alors, je peux vous dire que ce même processus serait alors plutôt une incitation à la violence. Les dernières guerres en Bosnie et en Tchéchénie, où les plus forts avaient cru pouvoir disposer du sort des plus faibles, devraient servir d'enseignements à toutes les parties concernées.
Ceci m'amène au deuxième point de mon exposé: Le Liban.

II- La Dimension Libanaise.

Otage depuis la fin des années 60 du conflit arabo-israélien, le pays des Cèdres risque encore une fois de faire les frais de ce processus. Occupé au nord par l'armée syrienne depuis 1976, et au sud par l'armée israélienne depuis 1978, le Liban est en train de perdre sa liberté, ses droits son rôle et sa personnalité, manipulé de toutes parts, dans l'indifférence de tous, si non avec la complicité des grandes puissances, A cette étape où toutes les entités du Moyen Orient sont en train de décider de leur avenir, le Liban, dont la volonté est confisquée, est en train de perdre son rendez-vous avec l'histoire.
Quant au contentieux entre le Liban et Israël, nous vivons un véritable paradoxe. Alors que ce contentieux est le plus aisé à résoudre comparé à celui de l'Etat Hébreu avec les autres pays arabes, Le Liban n'arrive toujours pas à se frayer une place autour de la table des négociations. Notre capitale Beyrouth n'a pas la connotation idéologique de Jérusalem, le sud Liban, n'a pas l'intérêt stratégique du Golan, et les impératifs sécuritaires entre les deux pays peuvent être facilement résolus. Jusqu'au début de la guerre du Liban, nos frontières avec Israël étaient les plus calmes, et le Liban n'avait participé ni à la guerre de 67, ni à celle de 73. Malgré cela, ce contentieux reste bloqué. Pourquoi? Parce que tout simplement, le Liban n'est pas libre de ses décisions et qu'il lui est interdit de prendre part aux négociations. Il est l'otage des intérêts syriens et Damas l'utilise comme monnaie d'échange... avec d'ailleurs la complicité de Tel Aviv comme nous l'avons vu tout à l'heure.

Depuis les accords de Taëf de 1989, qui nous ont été imposés presque manu militari, la volonté libanaise a été implacablement et hermétiquement verrouillée. Damas, qui entretient sur notre sol 40.000 soldats environ, nous impose nos gouvernants, nos lois, et jusqu'aux moindres décisions à caractère politique ou administratifs qui se prennent au quotidien à Damas même, où nos responsables y ont presque élu domicile.

Et s'il est prématuré pour nous d'envisager dans l'immédiat l'éventualité d'une paix séparée avec Israël, il nous est en même temps interdit de rechercher ou d'accepter un arrangement provisoire, une trêve, qui permette aux libanais de reprendre leur souffle, et de se remettre à réfléchir sereinement à leur avenir. Depuis 1978, les gouvernements libanais successifs ont proclamé à corps et à cris leur volonté d'appliquer les résolutions 425 et 426 de l'Onu de 1978 qui stipulent le retrait de l'armée israélienne du Sud et l'application de certaines mesures de sécurité à la frontière. Même le gouvernement actuel inféodé à la Syrie le réclame tout aussi haut. Or, lorsque Netanyahu propose des négociations à ce sujet, et se dit prêt à négocier des arrangements sécuritaires provisoires, Damas, qui a la haute main sur les affaires libanaises, refuse en notre nom le principe même de cette éventualité. Cyniquement, la Syrie veut entretenir la poudrière libanaise, aux dépens de la sécurité du pays et des citoyens et s'en servir, aux moindres frais pour elle, comme monnaie d'échange dans ses négociations avec l'Etat Hébreu; alors qu'elle s'efforce de maintenir le calme et l'ordre à sa propre frontière avec Israël, où depuis des années pas un seul incident sérieux n'a été relevé. Diaboliquement, le bras de fer diplomatique entre Damas et Tel Aviv se traduit chez nous en une confrontation meurtrière, par libanais interposés, notemment nos concitoyens du Sud du pays, transformés en chaires à canons et comme boucliers humains d'une guerre stérile puisque tous les autres arabes ont convenu de se mettre à table avec les israéliens et de discuter.

Le premier pas vers la solution pratique du problème libanais serait d'une part, la mise en place d'un mécanisme d'application des résolutions 425, 426 et 520 de l'Onu qui stipulent le retrait des armées étrangères du Liban, d'autre part la mise en application de certains accords à caractère international dont les accords de Taëf de 1989. Bien que contestés sur divers points, il n'en reste pas moins que l'application de certaines de leurs dispositions apportera une contribution susbstentielle à la solution du problème libanais. A titre d'exemple, je mentionne notamment que la réconciliation nationale sans exclusives ni exclusions convenue dans ces accords est restée un voeu pieux. Tous les opposants au pouvoir ont été, soit assassinés, soit eprisonnés, soit obligés à l'exil. Ensuite le redéploiement des forces syriennes et son évacuation d'une grande partie du pays comme convenu à Taëf n'a jamais été exécuté; bien au contraire. La réalisation de ces deux dispositions décidées à Taëf peut contribuer efficacement à redonner au Liban sa place sur l'échiquier régional et international.

Il est à craindre que si la situation restait en l'état, et le harcèlement contre les libanais se poursuivait, nous n'aboutissions à une crise pire que celle de la Bosnie, avec son lot de sangs, d'exode et de purification ethnique. Les libanais vivent au quotidien les atteintes aux principes des droits de l'homme et aux libertés publiques. Il y a un an, un Synode sur le Liban s'est tenu à Rome sous la présidence de Sa Sainteté le Pape, et a mis en garde contre les dangers qui guettent mon pays. Ce mois-ci, les hautes instances catholiques au Liban, pourtant très modérées n'ont pas manqué dans un communiqué solennel et dramatique, de lancer le signal d'alarme contre la politique d'ostracisme appliquée par le gouvernement mis en place par la Syrie.
Même certains leaders musulmans, dont des députés, ne cachent plus, aux risques de leurs vies, leurs critiques de la situation et leurs appréhensions quant à l'avenir du pays. Madame Alia El Solh, fille de feu Riad El Solh, le père de l'indépendance nationale, et figure éminente de la communauté musulmane sunnite au Liban, a même lancé le 5 novembre dernier à la France et à la communauté internationale, un appel de détresse. C'était à l'issu d'une cérémonie de remise de prix qui s'est tenu au Sénat français, à Paris. Madame Solh a déclaré, et je cite: " Pour la liberté de parole, j'ai mérité un prix en France, chez moi aujourd'hui, j'aurai reçu une balle dans le dos." ... Et de poursuivre, je cite toujours: " Le Liban est occupé à 20 % par les israéliens, le reste est une colonie syrienne... " Et pour ceux qui prétendent que la Syrie est venue au liban pour nous aider, madame Solh leur demande: "Mais est-ce aider que d'asservir? Est-ce guider que d'avilir? ... Ils ont assassiné ce beau rêve et ont trouvé des fossoyeurs libanais pour faire disparaitre le cadavre... Ils ont même rasé l'histoire"
Les grandes puissances qui, au nom du réalisme et du pragmatisme politique, couvrent et avalisent cette situation inique, ne réalisent pas que nous sommes sur la voie galopante d'un processus irréversible d'effritement de l'entité nationale qui peut à n'importe quel moment contaminer la région toute entière.

III- L'Europe et le Moyen Orient.

1. Tous les peuples du Moyen Orient appellent de leurs voeux une implication européenne dans le processus de paix. Depuis l'éviction de l'Union Soviétique, les arabes notamment réalisent de plus en plus l'utilité d'avoir l'Europe à leur côté‚ comme élément modérateur. La dernière visite dans la région du Président Jacques Chirac a montré la dimension de cette attente. Au Liban, en Syrie, en Jordanie et en Palestine, les peuples enthousiastes ont exprimé leur confiance dans la France, et souhaité un rôle très actif de sa part et de la part de l'Europe. Les israéliens quant à eux ont toujours entretenu des relations très amicales avec la France et l'Europe.

2. Il faudrait se souvenir aussi des liens historiques qui ont distingué les relations entre les pays arabes et les pays européens des siècles durant. La France, l'Angleterre, l'Autriche, l'Allemagne etc… ont marqué les pays arabes par leurs cultures et leurs traditions. Ils connaissent bien la psychologie des peuples de la région, et ont participé à la construction de leurs systèmes politiques. Il faudrait donc se souvenir qu'il existe un partenariat naturel pour la paix dans cette région du monde entre Europe et Moyen Orient. Le Moyen Orient, c'est la Méditerranée orientale. Nous vivons sur les bords d'un même lac; les hommes circulent du Nord au Sud et du Sud au Nord; c'est de la même pollution que nous souffrons et ce sont des produits identiques que nous consommons. Les mêmes menaces nous guettent (intégrisme, mafias, terrorisme). Mais nous n'avons pas de structures politiques et économiques de concertation et de coordination. C'est dommage. Il faut travailler à remédier à cela.
Sur le plan financier, les européens ont été les premiers à comprendre les besoins de la région en matière de développement. Malgré la crise économique qui sévit un peu partout en Europe et dans le monde, certains gouvernements européens n'ont pas lésiné sur les moyens à mettre en place pour venir en aide économiquement aux peuples de la région et aider ainsi à consolider le processus de paix. L'Europe est en effet dans le processus de paix le premier bailleur de fonds (650 Millions de Dollars) dégagés en 1992. En 1996 à Paris, 850 Millions de Dollars supplémentaires pour les années à venir ont été dégagés.
Mais l'Europe n'a aucun rôle politique dans le processus de paix. Cela n'est pas normal. Il faut faire jouer à l'Europe son rôle entier dans le processus. Il serait donc tout à fait naturel que l'Europe soit invitée à jouer un rôle important dans la réconciliation et le développement des peuples du Moyen Orient. D'ailleurs, le Conseil de la Communauté Européenne a parfaitement pris conscience de ses responsabilités et de ses droits, et à ce titre a délégué un représentant permanent, l'ambassadeur Miguel Moratinos, auprès des Etats concernés par le processus de Paix.

3. Il n'en reste pas moins que l'implication politique de l'Europe dans ce processus devrait au préalable faire l'objet d'une concertation en profondeur entre les pays européens eux mêmes. L'Union européenne doit pouvoir s'imposer en tant que telle sur la scène internationale. Les dissensions, les incompatibilités, les divergences, et mêmes les émulations entre ses ténors sont le principal obstacle à un rôle européen prépondérant non seulement dans notre région, mais partout ailleurs. L'exemple de la Yougoslavie, et plus récemment de la crise du Zaïre et du Ruwanda n'en sont qu'une modeste illustration. Même la coordination de la lutte contre le terrorisme en Europe, pourtant un fléau que tous ont intérêt à combattre, laisse à désirer. Les derniers attentats à Paris ont démontré les défaillances dangereuses du système de coordination dénoncées par les autorités françaises elles-mêmes.

Voilà, Mesdames et Messieurs quelques réflexions concernant le processus de paix dans notre région. Ce défi nous concerne tous, dans la mesure où le Moyen Orient est le berceau de trois religions révélées: le christianisme, l'Islam et le Judaïsme, et qu'il peut être tout aussi bien source d'inspiration spirituelle édifiante, ou source de troubles et de conflits meurtriers. Mais il est plus spécialement notre défi à nous, le défi de chaque Libanais. Le Liban n'a-t-il pas été pendant très longtemps cette terre d'accueil où précisément des hommes et des femmes appartenant à ces trois religions avaient conclus entre eux et elles, en leur âme et conscience, un pacte d'honneur et de convivialité. Ces femmes et ces hommes n'ont-ils pas témoigné chez nous, en faveur des valeurs de liberté, de tolérance et de dignité humaine prônées par Moïse, Jésus et Mahomet?
Le Liban, tout au long de son histoire, a expérimenté l'adversité et la persécution; mais il n'a jamais abdiqué.
Aujourd'hui je réitère en son nom cet engagement de poursuivre jusqu'au bout ce combat pour que revivent la liberté et la paix.