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Le 13 Avril 1975 : Qu'avons-nous retenu ?

2015-04-14

Qu'avons-nous retenu ?
Par Amine GEMAYEL
Président du Liban (1982-1988)
Président du parti Kataëb
L’Orient le Jour – 14 Avril 2015

La date du 13 avril 1975 a été communément adoptée comme étant le jour du déclenchement de la guerre du Liban. Une guerre qui a causé plus de 100 000 morts ou disparus, et des milliards de dollars de dégâts sur les infrastructures publiques et les biens privés. Mais l'aspect le plus insidieux et le plus durable, c'est l'impact désastreux de cette guerre sans fin sur les institutions de l'État et sur l'unité nationale.
En fait, cette guerre avait déjà commencé bien avant cette date. Il faut remonter à cinq ans plus tôt, c'est-à-dire au mois d'avril 1969, date des premières agressions des miliciens de l'OLP contre l'armée libanaise et contre le peuple libanais. Ces agressions sanglantes avaient provoqué une crise ministérielle de 7 mois, qui n'a été résolue qu'après l'imposition au Liban du sinistre Accord du Caire du 3 novembre 1969. Cet accord donnait à l'OLP une quasi-souveraineté aux dépens de la souveraineté nationale. Le territoire libanais devenait la patrie palestinienne de remplacement. ...
Forte de ces acquis, l'OLP va engager le Liban dans une guerre interne sans limites. Le 2 mai 1973, elle lance une attaque sanguinaire contre l'armée libanaise. Le président de la République autorisera alors l'intervention de l'armée de l'air pour contenir et mettre fin à cette agression.
La propagande palestinienne, épaulée par les partis libanais de gauche, cherchera à réduire l'origine du drame libanais à une malheureuse affaire d'attaque contre un autobus le 13 avril 1975, occultant tout ce qui s'était passé bien avant ce 13 avril, ne cessant de culpabiliser jusqu'à ce jour le Liban.
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Il faudrait remonter à quelques années plus tôt pour mieux comprendre la réalité du drame national.
Beaucoup de Libanais se souviennent de la crise de 1958 qui a duré plus d'un an, et qui a coûté la vie à des milliers de civils innocents. Le gouvernement avait été empêché de fonctionner normalement et des lignes de démarcations faites de sang et de larmes se sont dessinées un peu partout sur le territoire libanais. À cette époque, la tragique mode des tramways piégés dépassait en horreur les voitures piégées d'aujourd'hui.
Les Libanais s'étaient alors divisés entre pro-Nasser et anti-Nasser, pour ou contre l'union avec l'Égypte et la Syrie. L'ambassadeur d'Égypte Abdel Hamid Ghaleb et le ministre syrien Abdel Hamid Sarraj tiraient ouvertement les ficelles de la rébellion de certaines factions libanaises contre leur propre pays. C'est le débarquement des marines américains, le 15 juillet 1958, qui avait refroidi les ardeurs du Caire et de Damas : un nouveau président a été élu et un gouvernement d'union nationale composé de quatre ministres devait aider à la pacification du pays et à la réconciliation des Libanais.
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De retour à la guerre des années 70 : la trêve mise en place grâce aux bons offices internationaux sera de courte durée.
Dès la fin de 1982, la première vague des miliciens chiites solidement encadrés par les pasdarans iraniens faisait son apparition au Liban. Il s'est ensuivi les premières attaques contre l'armée libanaise dans la banlieue sud, ainsi qu'à Baalbeck, où la caserne militaire Cheikh Abdallah a été réquisitionnée. Comme de coutume, c'est toujours l'autorité nationale libanaise – même consensuelle – qui est incriminée. À l'instar des événements de 1958, 1969, 1973 ou de 1975, une machine infernale de propagande et de désinformation machiavélique est mise en branle pour embrigader les uns, mais surtout pour intimider les autres.
J'avais à l'époque attiré l'attention sur les grands dangers qui guettent le Liban et toute la région du fait de l'influence envahissante des milices chiites et de leurs parrains. Dans un des mes ouvrages publié en France en 1987 par Gallimard, L'Offense et le Pardon, tout un chapitre est consacré à « L'intégrisme », ou « L'Empire masqué ». À cette époque, beaucoup se demandaient de quoi je parlais, mais, aujourd'hui, « l'Empire » a enlevé son masque.
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Si j'évoque tous ces événements tragiques de notre histoire contemporaine, c'est parce qu'ils ont failli et risquent toujours de remettre en cause notre Pacte national et l'entité libanaise elle-même. À un moment où toute la région est à feu et à sang, où certaines frontières nationales sont remises en question, où l'idéologie intégriste est en train de prendre le dessus sur les systèmes en place...
Toutes ces souffrances communes, ce calvaire sans fin, ce martyrologue qui n'a épargné aucune faction, ni religion, ni communauté, ces guerres intestines, sanglantes et stériles, très souvent fratricides, menées plus pour le pouvoir que pour une cause ou un programme, tout ceci ne nous incite-t-il pas à tirer les conclusions de ce drame national dont nous avons tous été la victime ? Et qui risque de venir à bout de notre entité nationale ?
À tour de rôle, les pays arabes, Israël, l'Iran et j'en passe ont mené leurs guerres sur notre territoire, mais nous avons prêté le flanc, et certains Libanais leur ont servi d'instruments dociles. Ceci ressemble à un suicide collectif.
Le grand journaliste et politologue libanais Georges Naccache écrivait dans L'Orient-Le Jour : « Deux négations ne font pas une nation. » C'est le moment, après une si longue épreuve nationale, de répondre à ce que je considère comme une interrogation. Sommes-nous toujours dans ce contexte des « deux négations », c'est-à-dire de groupements politiques qui se refusent les uns les autres?
Ou au contraire, avons-nous retenu la morale et les leçons de toutes ces souffrances et décidé d'aller ensemble, solidaires, protéger et reconstruire ce pays merveilleux, qui devrait être celui de la concorde et des libertés?
Moi-même, et beaucoup d'autres, avons fait ce choix.